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LIVRE TROISIÈME.


nons intelligence. L’homme qui se connaît lui-même de cette manière est double : ou bien il connaît la raison discursive, qui est propre à l’âme ; ou bien, s’élevant à un état supérieur, il se connaît lui-même et il est uni à l’intelligence ; alors il se pense par elle, non plus comme étant homme, mais comme devenu supérieur à l’homme, comme transporté dans la région intelligible et y attirant avec lui la partie la meilleure de l’âme, celle qui seule est capable de prendre son essor vers la pensée et de recevoir le dépôt des connaissances que donne son intuition[1]. Mais la raison discursive ne sait-elle pas qu’elle est la raison discursive et qu’elle a la compréhension des objets extérieurs ? Ne sait-elle pas qu’elle juge quand elle juge ? Ne sait-elle pas qu’elle juge au moyen des règles qu’elle a en elle-même et qu’elle tient de l’intelligence ? Ne sait-elle pas qu’il y a au-dessus d’elle un principe qui possède les choses intelligibles au lieu de chercher à les connaître ? Mais que serait cette faculté, si elle ignorait ce qu’elle est et quelles sont ses fonctions ? Elle sait donc qu’elle dépend de l’intelligence, qu’elle lui est inférieure et qu’elle en offre l’image, qu’elle a ses règles en quelque sorte gravées en elle-même, telles que l’intelligence les grave, ou plutôt les a gravées en elle[2].

Celui qui se connaît ainsi lui-même s’arrêtera-t-il là ? Non,

  1. Jean Philopon dit à ce sujet : « C’est le privilége de l’intelligence de se tourner vers elle-même. C’est elle qui voit, c’est elle aussi qui est vue : voyant les formes, elle se voit elle-même ; et, en se voyant elle-même, elle contemple les formes. Elle est en effet la plénitude des formes et la forme des formes. » (Comm. du Traité de l’Âme d’Aristote, IV, § 2.)
  2. Le P. Thomassin commente cette théorie en ces termes : « 1° Observat Plotinus animum hominis seipsum semper intelligere, etsi raro se in seipsum revolvendo id advertat. Nam primo qui judicat utique judicare se novit ; qui meminit, se meminisse scit ; qui vult, se velle vult et videt ; intelligit ergo semper animus se esse vim volendi, judicandi, memorandi, etc. 2° Qui certo et immutabiliter judicat, ex certa et immutabili aliqua regula se judicare novit. Quum ergo