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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/106

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COMMENT IL FAUT QUE LE JEUNE HOMME

préfèrent les maîtres qui semblent ne pas parler au nom de la philosophie et dont le langage n’a rien de sérieux : voilà le genre de discours auxquels ils se montrent attentifs et dociles. Ce ne sont pas, en effet, seulement les fables enfantines d’Ésope et les narrations poétiques, qu’ils parcourent avec plaisir, par exemple l’histoire d’Abaris, fils d’Héraclide, celle de Lycon, fils d’Ariston. Les questions qui ont rapport à l’âme leur inspirent également, lorsque s’y mêle la mythologie avec son merveilleux, un intérêt qui va jusqu’à l’enthousiasme. C’est pourquoi il faut les habituer à rester sobres non-seulement sur le plaisir du boire et du manger, mais aussi, et bien davantage encore, sur l’audition et sur la lecture. Habituons-les à user modérément de ce que l’une et l’autre offrent d’agréable, comme on fait en matière d’assaisonnement, et à n’en accepter le plaisir qu’afin d’en poursuivre le profit et l’utilité. Ce ne sont pas les portes fermées qui garantissent une ville et l’empêchent d’être prise, s’il y en a une seule qui reçoive les ennemis. De même, la modération apportée aux autres plaisirs ne garantit point un jeune homme, si à son insu il se laisse prendre par l’ouïe. Mais plus cette faculté touche de près dans notre être au siège de la pensée et de la raison, plus, si l’on met de la négligence, elle est funeste et corruptrice pour qui donne prise à la séduction. Ainsi donc, puisqu’il est peut-être impossible, et qu’en même temps il est inutile, d’interdire la poésie à des auditeurs de l’âge de mon Soclarus ou de votre Cléandre, redoublons de sollicitude à leur égard. Ils ont besoin, soyons en convaincus, de plus de surveillance dans la direction de leurs lectures, qu’il n’en a fallu pour leur apprendre à marcher. Voilà pourquoi je me suis mis en tête de vous adresser par écrit les réflexions que j’ai eu récemment occasion de produire de vive voix touchant la lecture des poëmes. Acceptez ce travail, veuillez le parcourir ; et si ces pages ne vous semblent pas avoir moins de vertu que les pierres nommées améthystes, que l’on suspend au cou et qui doivent préserver de l’ivresse dans les festins, communiquez-les à Cléandre. Il faut garantir à l’avance cette