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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/107

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ÉCOUTE LA LECTURE DES POËTES.

nature qui n’est rien moins que paresseuse. Son intelligence se porte activement à tout, son regard est pénétrant : plus que personne il se laisserait aller à de telles séductions.

La tête du polype a du bon, du mauvais,

en ce sens qu’elle offre un manger appétissant, mais qu’elle provoque, dit-on, un sommeil dont les rêves sont pénibles et troublés par d’étranges visions. Dans la poésie, pareillement, il y a beaucoup de choses agréables et nourrissantes pour l’esprit d’un jeune homme ; mais moins nombreuses ne sont pas celles qui peuvent le troubler et l’égarer si, avant de les entendre, il n’a été prémuni par des conseils salutaires. Ce n’est pas seulement, à ce qu’il semble, du sol de l’Égypte, c’est encore de la poésie, que l’on peut dire qu’elle présente

Maint utile produit, et maint autre funeste[1]

à ceux qui en font usage.

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Là sont amours, désirs, et trompeuses douceurs
Promptes à se glisser dans les plus sages cœurs[2].

En effet, les séductions de la poésie ne s’attaquent point aux intelligences sans valeur et tout à fait dépourvues de sens. De là ce mot de Simonide, à qui l’on demandait pour quoi les Thessaliens étaient les seuls qu’il ne trompât pas : « Ils sont trop ignorants, répondit-il, pour être trompés par moi. » Gorgias disait de la tragédie, « que c’est une imposture dont l’auteur a des intentions plus honnêtes que tel autre qui ne mentirait pas, et où la dupe est plus intelligente que tel qui ne se laisse pas duper ». Est-ce donc à dire, que nous ferons comme le roi d’Ithaque avec ses compagnons ? Voudrons-nous garnir d’une cire épaisse les oreilles des jeunes gens ? Les forcerons-nous de recourir à la barque de sauvetage[3] qui s’appelle la doctrine d’Épicure, pour qu’ils fuient

  1. Odyssée, IV, 230.
  2. Iliade, XIV, 216. Il s’agit de la ceinture de Venus.
  3. Il doit y avoir ici, bien que nul commentateur ne l'ait signalé, un jeu de mots résultant de la double signification du mot épicouréios, qui veut dire « secourable » et « épicurien ». Épicure faisait peu de cas de la poésie et l’interdisait à ses disciples.