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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/110

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COMMENT IL FAUT QUE LE JEUNE HOMME

les fables d’Ésope, estimant qu’il n’y a point poésie là où il n’y a point mensonge. En effet il existe bien, à notre connaissance, des sacrifices sans chœurs et sans flûtes, mais non pas des poésies sans fables et sans impostures. Quant aux vers d’Empédocle et à ceux de Parménide, aux Thériaques[1] de Nicandre, aux sentences de Théognis, ce sont des discours qui ont emprunté à la poésie, en guise de véhicule, sa pompe d’expression et son mètre pour éviter le terre à terre de la prose. Aussi, toutes les fois que les poëtes placent dans la bouche d’un personnage considérable et glorieux quelques paroles malsonnantes et fâcheuses touchant les dieux, ou les Génies, ou la vertu, celui qui accepte ces paroles pour vraies se trouve entraîné dans l’erreur, et son opinion est faussée. Mais supposez un homme qui n’oublie jamais quelles séductions l’art du poëte répand sur le mensonge, un homme qui s’en rende compte très-nettement, qui puisse chaque fois dire à la Poésie :

Le sphinx est en détours moins habile que toi[2] ;

qui puisse lui dire : « est-il nécessaire que, née pour le badinage, tu fronces les sourcils ; qu’ayant pour but de tromper, tu fasses semblant d’instruire ? » un tel homme, n’éprouvera point de mal[3] et il n’acceptera jamais aucune croyance funeste. Non : il se réprimandera lui-même d’avoir redouté Neptune et d’avoir cru que ce dieu allait entr’ouvrir la terre pour mettre à nu le Tartare[4] ; il se grondera bien fort d’avoir, dans sa prédilection pour le plus héroïque des Grecs, blâmé Apollon[5],

Qui louait le héros, l’assistait au repas,
Et puis, l’éloge fait, prononçait son trépas.

  1. Recueil des préceptes relatifs à la santé.
  2. Amyot traduit comme s’il s’agissait des bigarrures qui distinguent la robe des panthères.
  3. Peut-être faut-il entendre : « ne se persuadera rien de fâcheux » : un même mot voulant dire et « souffrir » et « se persuader. »
  4. Iliade, XX, 57.
  5. Amyot, traduit « il reprendra aussi Apollon se courrouçant pour le premier homme du camp des Grecs. » Du reste il s’agit ici, non pas, comme le veut Amyot, d’Ægistus qui tua Agamemnon, mais d’Apollon, qui après avoir assistė aux noces de Thélis, et y avoir chanté les louanges du fils qu’elle met trait au monde, le fit pourtant succomber sous la flèche de Pâris. Ce fragment est d’Eschyle, et il est cité plus au long par Platon, dans sa République, liv. II, Clavier.