Aller au contenu

Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
35
ÉCOUTE LA LECTURE DES POËTES.

faire mauvais accueil. C’est là un commencement d’instruction. Or

Travail bien commencé se terminera bien,
Et toujours le début décide de la fin,

comme dit Sophocle.

2. Ainsi, tout d’abord, celui que nous introduirons en pleine poésie n’aura médité, ne se sera rendu familière aucune pensée plus assidûment que celle-ci, à savoir, que

Les poëtes mentent souvent,

tantôt de parti pris, et tantôt malgré eux.

Pourquoi mentent-ils de parti pris[1] ? Parce que, tout occupés de plaire à l’oreille, et c’est là leur but en général[2], ils regardent la vérité comme trop austère si on la compare à la fiction. Quand un fait a réellement eu lieu, il est impossible, quelque odieux que l’on en reconnaisse le dénouement, de lui en substituer un autre ; mais quand il est la création du narrateur, rien n’est plus facile que de tout déplacer, que de couronner des situations pénibles par une conclusion plus agréée du lecteur. Ni la mesure du vers, ni l’éclat de la diction, ni le judicieux emploi des figures, ni l’enchaînement des idées, ni l’harmonie, rien, en un mot, n’est aussi séduisant, aussi bien accepté, que l’ensemble d’une fiction habilement ourdie. Comme dans des peintures la couleur agit plus sur nous que le simple trait, parce qu’elle reproduit les personnages jusqu’à faire illusion, de même en poésie le mensonge mêlé au vraisemblable frappe et charme mieux que ne saurait faire une composition, d’ailleurs versifiée et bien écrite, où il n’y a ni fable ni fiction. C’est pour cela que Socrate ayant voulu, à la suite de certains songes, s’occuper de poésie, n’aurait pu, après avoir été durant toute sa vie le champion de la vérité, en imposer à personne ni écrire rien qui se trouvât faux. Il mit donc en vers

  1. Le développement de cette première proposition : « que les poëtes mentent de parti pris », se prolonge jusqu’à la fin de cet alinéa : « Voilà dans quelles occasions etc. »
  2. Amyot entend : « ce que la plupart des lisants demandent. »