Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

eut été disgrâcié, quand des sommets de la philosophie le tyran fut retombé dans sa passion pour le vin, pour les femmes perdues, pour les propos frivoles, pour la débauche, soudain, comme à un mouvement de la baguette de Circé, ce fut une métamorphose générale; et l'ignorance, l'oubli, la sottise envahirent tout. Nous voyons des témoignages analogues dans les actes de ces flatteurs qui procèdent en grand, qui conduisent des peuples entiers. Le plus remarquable en ce genre est Alcibiade. Chez les Athéniens il était railleur, il élevait des chevaux, il vivait au sein de l'insouciance et de la galanterie; à Lacédémone il se rasait la barbe jusqu'à l'épiderme, ne portait qu'un simple manteau et se baignait en eau froide; chez les Thessaliens il faisait la guerre et il buvait; quand il se fut rendu à la cour de Tissapherne, sa vie ne fut que luxe, mollesse et arrogance. Ainsi il captivait chaque peuple et pénétrait dans ses bonnes grâces par la facilité avec laquelle il prenait toutes les habitudes, toutes les ressemblances. Mais tels n'étaient point Epaminondas et Agésilas. Quoiqu'ils eussent été en contact avec bien des hommes, bien des peuples, bien des existences, l'un et l'autre conservèrent en tous lieux leur propre caractère : ce furent toujours mêmes vêtements, mêmes habitudes de régime, même langage, même conduite. Ainsi, encore, Platon fut à Syracuse tel qu'il était dans l'Académie, et au milieu de la cour de Denys tel qu'auprès de Dion.

[8] Les mutations du flatteur, comme celles du polype, seront faciles à saisir pour ceux qui, feignant eux-mêmes une grande mobilité, blâmeront tout à coup la vie qu'ils louaient d'abord et accueilleront, comme avec une passion soudaine, les affaires, les manières de vivre, les discours qu'ils détestaient naguère. Ils verront, en effet, que le flatteur n'a rien en soi de fixe, rien qui lui soit personnel :