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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/219

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le tyran, et parmi les apprivoisées le flatteur». Il eût été plus conforme à la vérité de répondre qu'entre les flatteurs , les apprivoisés sont ceux qui tiennent pour le bain et pour la table, mais que l'autre flatteur qui jusque dans votre chambre, jusque dans l'appartement des femmes, allonge, comme les branches d'un polype, sa curiosité, ses calomnies, sa malice, celui-là est une bête sauvage des plus féroces et des plus difficiles à manier.

[20] S'il semble qu'il y ait un moyen de se préserver du flatteur, c'est de reconnaître et de se rappeler continuellement que notre âme se compose de deux parties, l'une douée de sincérité, d'amour du beau et de la raison, l'autre déraisonnable, amie du mensonge et susceptible de passions violentes; que c'est à la meilleure des deux que l'ami adresse toujours ses conseils et ses encouragements, attentif comme un médecin qui veut améliorer encore et conserver notre santé. Mais le flatteur se concentre sur la partie passionnée et déraisonnable ; il l'excite et la chatouille; il la détermine à s'écarter de la droite raison, lui préparant et lui ménageant toujours quelques voluptés déshonnêtes. De même donc que certains aliments ne servent ni à augmenter le sang et les esprits, ni à donner plus de force aux nerfs et à la moelle, mais excitent seulement les parties sexuelles, activent les cours de ventre et engendrent une chair pourrie et mollasse; de même, par son langage le flatteur n'ajoute rien de bon à l'homme sage et réfléchi, mais il nous familiarise avec les voluptés amoureuses, il excite en nous des colères follement conçues, il enflamme notre jalousie, et nous inspire un orgueil aussi insupportable que déplacé. Il aggrave nos chagrins en se lamentant avec nous. Notre méchanceté, notre bassesse, notre défiance redoublent toujours de turbulence, d'aigreur, de soupçon, par suite de ses calomnies et des préventions qu'il nous suggère. Or c'est un manége qui n'échappera pas à ceux qui se tiennent sur leurs gardes : car ils savent que le flatteur couve constamment, pour ainsi dire, quelqu'une de nos passions et qu'il l'engraisse. Je le compare à un bubon, qui survient toujours là