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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 4, 1870.djvu/628

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CONTRE COLOTÈS.

parlé, il devait formuler d’abord les questions que voici : « Pourquoi mange-t-il du pain, et non du foin ? Pourquoi met-il ses vêtements autour de son corps, et non autour d’une colonne ? » Car enfin il n’était pas convaincu, de manière à ne pouvoir en être désabusé, qu’un manteau fût un manteau, que du pain fût du pain. Permis à lui de faire tous ces actes : de se refuser à traverser pédestrement des fleuves qui étaient grossis, de fuir les serpents et les loups, bien qu’il ne fût pas irrévocablement convaincu qu’aucun de ces objets n’était tel qu’il paraissait être ; permis à lui, enfin, d’agir en toutes ces occasions d’après les apparences. Mais Socrate, de son côté, n’avait rien qui l’empêchât de se conformer à sa propre opinion sur les sens, et d’user des choses conformément à ce qu’elles paraissaient être à ses yeux. Il ne faut pas croire qu’à Colotès le pain parût être du pain, le foin parût être du foin parce qu’il avait lu ces règles tombées des cieux, et que ce fût par impertinence que Socrate crût voir du pain dans ce qui était du foin et du foin dans ce qui était du pain. Sans doute les dogmes et les discours dont se servent les sages sont meilleurs que les nôtres. Mais pour ce qui est du témoignage des sens et de l’impression produite par les objets extérieurs, il y a communauté d’affections, et ces affections sont produites par des causes où la logique n’a rien à voir. Le raisonnement qui amène à penser que les sens ne sauraient donner des garanties exactes et infaillibles de certitude, ne supprime pas pour nous l’évidence de chaque objet. Seulement, lorsque pour agir nous faisons usage de nos sens d’après ce que nous voyons, le raisonnement ne nous autorise pas à regarder leurs indications comme vraies et comme incapables d’erreur. Il nous suffit de leur demander le concours indispensable et usuel qu’ils nous prêtent, attendu que nous n’avons rien de mieux à notre disposition. Mais quand l’âme veut savoir et connaître chaque chose d’une manière philosophique, ce ne sont point les sens qu’elle peut consulter.

20. Sur ce point de doctrine Colotès nous donnera encore