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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 4, 1870.djvu/630

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CONTRE COLOTÈS.

qui raisonne, tient, dit Épicure, à une qualité qui n’a point de nom. Cette impossibilité de désigner nettement est l’aveu d’une honteuse ignorance : s’ils ne qualifient point par une appellation, c’est qu’ils ne peuvent découvrir, nous le savons de reste. Pardonnons-leur sur ce point, puisqu’ils le demandent : car ce n’est évidemment pas chose vulgaire et facile que d’approfondir un tel secret. Ce n’est pas la première intelligence venue qui pénétrera ce mystère enfoui pour ainsi dire dans un abîme insondable et merveilleusement caché, qui expliquera un fait pour lequel, au milieu d’une si grande richesse de mots, il ne s’en trouve pas un qui soit propre et spécial. Mais qu’au moins on ne dise pas que Socrate faisait preuve de stupidité en cherchant à savoir qui il était. Stupides sont bien plutôt tous ceux à qui il vient en l’esprit de chercher préalablement quelque autre chose. C’est la seule connaissance qui soit indispensable, comme aussi c’est la plus difficile à s’assurer. En vain espérera-t-on en acquérir une autre, tant que l’on ignorera le moyen de reconnaître ce que l’on a en soi de plus noble et de plus important.

21. Mais encore, accordons à Colotès que rien n’est plus inutile, plus insupportable, que de se chercher soi-même. Nous lui demanderons, au moins, comment il s’ensuit que la vie ne soit plus que confusion et qu’il soit impossible de persister à vivre, parce qu’un beau jour on aura réfléchi en soi-même et qu’on se sera dit : Voyons : que suis-je ? Mon être est-il une sorte de composition, un mélange de l’âme et du corps ? Est-ce plutôt mon âme qui dispose de mon corps, comme un cavalier dispose de son cheval ? Est ce la partie la plus excellente de l’âme, celle par laquelle nous pensons, nous raisonnons, nous agissons, est-ce cette partie qui est véritablement chacun de nous ? Le reste ne se compose-t-il pas de parcelles de l’âme et de parcelles du corps, destinées à servir d’instruments à cette faculté souveraine ? Ou bien encore, n’y a-t-il absolument aucune essence d’âme ? Est-ce le corps lui-même qui, mélangé de certaine façon, possède la propriété de pen-