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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 4, 1870.djvu/646

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CONTRE COLOTÈS.

que les dents des lions, les estomacs des bœufs, le cou des chameaux[1]. Ce sont là les affections et les dogmes que, faute de pouvoir écrire et parler, les animaux expriment par leurs rugissements, leurs hennissements, leurs bêlements. Toute voix chez eux indique qu’ils demandent un plaisir du ventre, une satisfaction de la chair, et qu’ils en signalent bruyamment la présence ou l’approche. Il n’en faut excepter que les espèces qui aiment naturellement à chanter et à gazouiller.

31. On ne saurait donc assez dignement louer ceux qui à ces appétits bestiaux ont opposé des digues légitimes, en fondant des cités, en créant des magistratures, en instituant des lois. Quels sont, au contraire, ceux qui portent partout le désordre et la confusion, et qui ne laissent plus rien subsister ? Ce sont, n’en doutez pas, les rêveurs qui s’écartent du gouvernement et en écartent leurs adeptes, qui disent : « Avec la couronne du désœuvrement ne sauraient entrer en comparaison les pouvoirs les plus étendus » ; qui prétendent que « régner est une faute et une chute » ; qui écrivent en propres termes : « Il faut prêcher les moyens qui aident le mieux à maintenir le but de la nature. La meilleure morale est celle qui nous tient, de notre plein gré et dès le principe, en garde contre le désir de commander à des réunions d’hommes » ; qui osent même ajouter : « Il n’est donc plus besoin de travailler au salut des Grecs, ni d’obtenir d’eux une couronne pour prix d’un mérite quelconque. Il n’y a qu’une chose à faire, mon cher Timocrate : c’est de manger et de boire, en ménageant sa chair et en satisfaisant sa sensualité ».

Et pourtant, cette institution des lois, de laquelle Colotès lui-même fait l’éloge, présente pour prescription première et capitule la croyance en des dieux. C’est grâce à cette croyance, que Lycurgue plaçait les Lacédémoniens sous la protection divine ; comme Numa, les Romains ; comme l’an-

  1. Complétez : « pour être devenus des bêtes féroces. »