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Page:Plutarque - Vies, traduction Ricard, 1829, tome 1.djvu/486

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d’une telle faveur : car ce ne fut que longtemps après, qu’Appius, pour gagner les bonnes grâces de la multitude, donna généralement à tous les affranchis le droit de suffrage. Cet entier affranchissement s’appelle encore aujourd’hui vindicta, du nom de Vindicius.

Il avait à peine pris possession du royaume, qu’il commença par casser la compagnie des trois cents gardes que Romulus avait toujours auprès de sa personne, et qu’il appelait célères, c’est-à-dire vites à la course. Numa ne voulait ni paraître se défier de ceux qui se fiaient à lui, ni régner sur des hommes qui n’auraient pas eu pour leur roi une entière confiance. En second lieu, aux deux prêtres de Jupiter et de Mars, il en ajouta un troisième pour Romulus, et l’appela flamine Quirinal. Les anciens prêtres avaient déjà le nom de flamines, à cause des bonnets qu’ils portaient, et que les Grecs appellent pilamines ; les mots grecs étaient alors beaucoup plus communs dans la langue latine qu’ils ne le sont aujourd’hui. Les manteaux que les rois portaient, et qu’ils appelaient lenas, sont, suivant Juba, les mêmes que ceux qu’on nomme en Grèce clenas. Le jeune homme qui sert dans le temple de Jupiter, et dont le père et la mère sont vivants, est appelé Camillus, nom que quelques peuples grecs donnent à Mercure, à cause des fonctions qu’il exerce auprès des dieux.

8

Les biens des Tarquins furent livrés au pillage ; on rasa leurs palais et leurs maisons de campagne ; et l’on consacra au dieu Mars l’endroit le plus agréable du champ, qui porta depuis le nom de ce dieu, et qui appartenait à Tarquin. On venait d’y faire la moisson, et les gerbes étaient encore dans le champ. On crut, à cause de la consécration qu’on en avait faite, qu’il n’était pas permis de moudre le blé et d’en tirer aucun profit. Le peuple donc courut en foule à ce champ, prit les gerbes et les jeta dans le Tibre, avec tous les arbres, qu’il avait aussi coupés, afin de laisser au dieu le terrain nu et sans aucune production. Ces matières, que le fil de l’eau poussait et amoncelait les unes sur les autres, ne furent pas portées bien loin. Les premières, arrêtées dans des bas-fonds, ayant retenu celles qui survenaient, elles s’accrochèrent et s’unirent tellement ensemble, qu’elles formèrent une masse solide qui prit racine. Cette masse s’accrut, s’affermit et se condensa chaque jour davantage par la grande quantité de limon que le courant y charriait ;