Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/111

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unes de leurs lois, et il les recueillit pour en faire usage quand il serait de retour à Sparte ; mais il y en eut qu’il n’estima guère. Au reste, il persuada, par ses prières et par ses témoignages d’amitié, à l’un des hommes dont on estimait le plus la sagesse et les lumières politiques, de quitter la Crète, et d’aller s’établir à Sparte. Il se nommait Thalès : on le croyait simplement poëte lyrique[1] ; mais, sous le couvert de la poésie, il remplissait, au fond, la charge d’un excellent législateur. Ses odes étaient autant d’exhortations à l’obéissance et à la concorde, soutenues du nombre et de l’harmonie, pleines à la fois de gravité et de charmes, et qui adoucissaient insensiblement les esprits des auditeurs, leur inspiraient l’amour du bien, et faisaient cesser les haines qui les divisaient. Il prépara donc, en quelque sorte, les voies à Lycurgue, pour l’instruction des Lacédémoniens.

De Crète, Lycurgue fit voile pour l’Asie. Il voulait, dit-on, comparer les habitudes simples et austères des Crétois avec la vie voluptueuse et délicate des Ioniens, comme un médecin compare à des corps bien portants des corps languissants et malades, et apprécier la différence des mœurs et des gouvernements. Ce fut là vraisemblablement qu’il connut, pour la première fois, les poëmes d’Homère, qui étaient conservés par les descendants de Créophyle[2]. Il reconnut que la morale et la politique, dont les enseignements y sont répandus, en faisaient le mérite, non moins que d’agréables fictions et des contes : aussi s’empressa-t-il de les copier, et de les réunir en corps d’ouvrage, pour les porter en Grèce. On y avait déjà quelque obscure notion de ces épopées,

  1. Il ne faut pas prendre ce mot à la lettre. La poésie lyrique ne date que de Terpandre, ou, si l’on veut, de Callinus et de Tyrtée, tous postérieurs à Lycurgue. La lyre proprement dite n’existait même pas, et on ne connaissait que le vers héroïque ou épique, le vers d’Homère et d’Hésiode. Il est vrai que la poésie se chantait, et avec accompagnement de musique.
  2. Homère, d’après les traditions les plus accréditées, n’était pas de beaucoup intérieur à Lycurgue. Créophyle était, dit-on, un ami d’Homère.