Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/126

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double aiguillon qui excitait, dans le cœur des jeunes gens, l’émulation du bien et l’amour de la vertu. Celui qui s’était vu louer pour quelque trait de courage, et qui était devenu célèbre parmi les jeunes filles, s’en retournait tout glorieux des éloges qu’il avait reçus, tandis que les piqûres de la raillerie portaient aux autres de non moins sensibles atteintes que les remontrances les plus sévères ; car, non-seulement les citoyens assistaient à ce spectacle, mais les sénateurs et les rois mêmes. La nudité des filles n’avait rien de honteux : la pudeur était là, et nul ne songeait à l’intempérance ; et c’était, au contraire, ce qui servait à les habituer à la simplicité, à leur donner une émulation de vigueur et de force ; c’était ce qui élevait leur cœur au-dessus des sentiments de leur sexe, en leur montrant qu’elles pouvaient partager, avec les hommes, le prix de la gloire et de la vertu. Aussi les femmes Spartiates pouvaient-elles penser et dire avec confiance ce qu’on attribue à Gorgo, femme de Léonidas. Une femme étrangère lui disait : « Vous autres Lacédémoniennes, vous êtes les seules qui commandiez aux hommes. — C’est que nous sommes les seules, répondit-elle, qui mettions au monde des hommes. »

C’était aussi une amorce pour le mariage : j’entends ces processions de jeunes filles nues, et leurs exercices, en cet état, sous les yeux des jeunes gens, qui se sentaient attirés, non par une nécessité géométrique, mais, comme dit Platon, par la nécessité de l’amour[1]. Lycurgue alla plus loin encore : il attacha au célibat une note d’infamie. Les célibataires étaient exclus du spectacle des gymnopédies[2] ; et les magistrats les obligeaient, pendant l’hiver, de faire le tour de la place tout nus, en chantant, dans la marche, une chanson faite contre eux, où il était dit qu’on les punissait avec justice, pour avoir

  1. Voyez le cinquième livre de la République.
  2. C’est-à-dire des exercices où figuraient nus les jeunes gens et les jeunes filles.