Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/146

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pratiquer la justice. C’est probablement ce qu’on nomme chez eux la cryptie[1], si toutefois cet établissement est de Lycurgue, comme le prétend Aristote, qui aura fait concevoir à Platon lui-même une mauvaise opinion du gouvernement de la ville et de son législateur.

Voici en quoi consistait la cryptie.

Les magistrats envoyaient, de temps en temps, les jeunes gens qui semblaient le plus avisés, courir par la campagne, armés seulement de poignards, et ne portant que les vivres nécessaires. Disséminés çà et là, pendant le jour, dans des endroits couverts, ils s’y tenaient blottis, et ils s’y livraient au repos ; la nuit arrivée, ils en sortaient, pour se répandre sur les grands chemins, et pour égorger les Hilotes qu’ils rencontraient. Quelquefois aussi ils couraient les champs pendant le jour, tuant les plus forts et les plus robustes des Hilotes[2].

Thucydide, dans sa Guerre du Péloponnèse[3], raconte que les Spartiates avaient choisi, pour les affranchir, ceux des Hilotes qui s’étaient distingués par leur courage : ils les avaient couronnés de fleurs, et ils les avaient menés dans les temples remercier les dieux de leur liberté ; mais, bientôt après, tous les affranchis disparurent ; et ils étaient plus de deux mille ! et personne ne put jamais, ni dans le temps ni plus tard, dire comment ils étaient morts ! On dit même, et Aristote atteste le fait, que les éphores, en prenant possession de leur charge, commençaient par déclarer la guerre aux Hilotes, afin que ce ne fut pas un sacrilège de les tuer. Les Spartiates les traitaient, partout et toujours, avec

  1. Ce mot vient de κρύπτω, cacher, et signifie embuscade.
  2. Cette cryptie était, comme on l’a remarqué, une sorte de loi de couvre-feu, une mesure de police contre le vagabondage et les réunions nocturnes. Seulement la pénalité était atroce. Les Hilotes opprimés conspiraient sans cesse, et ils étaient dix fois plus nombreux que leurs maîtres. Les Spartiates ne les rangeaient à l’ordre que par la terreur.
  3. Au chapitre 80 du IVe livre.