Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/150

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rait l’univers pour châtier les scélérats et les tyrans farouches, de même Sparte, avec une simple scytale[1] et une pauvre cape, commandait à toute la Grèce, qui se soumettait volontairement à son empire : elle détruisait les pouvoirs injustes et les tyrannies qui opprimaient les peuples ; elle mettait fin, par son arbitrage, aux guerres, aux séditions, et le plus souvent même sans remuer un bouclier ; car elle n’avait besoin que d’envoyer un ambassadeur, et tous se soumettaient aux injonctions de cet homme, comme on voit les abeilles, dès que leur roi[2] paraît, s’élancer, se presser en ordre autour de lui. Tant il y avait d’imposante autorité dans les institutions de Sparte et dans sa justice !

Je m’étonne, après cela, qu’on dise que les Lacédémoniens savaient obéir, mais non point commander ; et je ne comprends pas les louanges qu’on fait d’un mot du roi Théopompe. Quelqu’un disait, devant lui, que Sparte se maintenait parce que les rois y savaient commander. « C’est plutôt, dit Théopompe, parce que les citoyens y savent obéir. » Les peuples, suivant moi, ne restent pas longtemps soumis à ceux qui ne savent pas commander ; la soumission des sujets est le fruit de la science des chefs : qui conduit bien se fait bien suivre ; et, comme la perfection de l’art hippique est de rendre le cheval doux et docile au frein, l’œuvre de la science royale consiste à former les hommes à l’obéissance.

Ce n’était point assez, pour les Lacédémoniens, de persuader la soumission aux autres peuples : on se disputait l’honneur de les avoir pour chefs, et de suivre leurs ordres. Les étrangers ne leur envoyaient demander ni vaisseaux, ni argent, ni troupes, mais seulement un général spartiate ; et, quand ils l’avaient, ils se sentaient, devant lui, pénétrés de respect et de crainte.

  1. C’était le nom que portaient les missives émanant du gouvernement de Sparte.
  2. Nous dirions, plus exactement : leur reine.