Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/149

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pour mourir s’il veut[1] ; il voyait, d’ailleurs, presque tous ses souhaits heureusement réalisés. Il se laissa donc mourir en s’abstenant de manger, persuadé que la mort d’un homme d’État ne doit pas être inutile à ses concitoyens, ni la fin de sa vie oisive, et qu’il y a place, dans cet instant suprême, pour la vertu et pour l’action. Il pensa qu’après les grandes choses qu’il avait exécutées, la mort serait la consommation de son bonheur, en même temps qu’elle garantirait aux citoyens, qui avaient juré d’observer ses lois jusqu’à son retour, la durée de tous les biens qu’il leur avait procurés pendant sa vie.

Il ne se trompa point dans ses conjectures. Sparte tint le premier rang entre les cités de la Grèce, par la sagesse de son gouvernement et par sa gloire, durant les cinq cents années qu’elle observa les lois de Lycurgue. Aucun des quatorze rois qui suivirent, depuis le législateur jusqu’à Agis, fils d’Archidamus, ne fit de changement à ces lois ; car l’établissement des éphores, loin de relâcher les ressorts du gouvernement, ne fit que les tendre mieux : il semblait que ce fût tout avantage pour le peuple ; mais la force de l’aristocratie s’en accrut encore. Ce fut sous le règne d’Agis que l’argent commença à se glisser dans Sparte, et, avec l’argent, l’avarice et la cupidité. C’est alors que Lysandre, tout incapable qu’il fût de se laisser prendre lui-même à l’appât de l’or, remplit sa patrie de l’amour des richesses et du luxe. Les trésors qu’il avait rapportés de la guerre finirent par triompher des lois de Lycurgue ; mais, tant que les lois de Lycurgue furent en vigueur, Sparte fut moins une cité sagement gouvernée, que la maison bien réglée d’un homme sage et religieux ; ou plutôt, comme les poëtes feignent qu’Hercule, avec sa peau de lion et sa massue, parcou-

  1. Suivant quelques-uns, Lycurgue aurait vécu jusqu’à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. L’âge indiqué par Plutarque est la soixantaine. Le sophisme que l’historien prête à Lycurgue, et qu’il semble approuver, est de ce mauvais stoïcisme qui n’aurait pas dû le rendre infidèle, même un instant, à Socrate et à Platon.