Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elle donne entrée dans son amour à des étrangers, à des bâtards, qui s’insinuent par leurs caresses, se mettent en possession, et, une fois établis, font naître, avec l’attachement qu’ils inspirent, le désir de les conserver et la crainte de les perdre.

On voit tous les jours des hommes s’exprimer avec une extrême insensibilité, à propos de mariage et d’enfants, et qui ensuite, s’ils viennent à perdre les enfants qu’ils ont eus de leurs esclaves, ou les nourrissons de leurs concubines, ou seulement s’ils les voient malades, se consument en regrets, et s’abandonnent à des plaintes peu viriles. Il en est même pour qui la mort d’un chien ou d’un cheval a été le sujet d’un deuil honteux et d’une affliction mortelle ; tandis que d’autres, après avoir perdu des enfants vertueux, n’ont point fléchi sous le coup, ne se sont point avilis, et ont passé le reste de leur vie dans une sage modération. Car c’est faiblesse, et non point affection, de se laisser aller à des regrets, à des craintes excessives : c’est que la raison ne nous a pas prémunis contre la Fortune. Nous ne savons pas jouir du présent ; et l’avenir nous jette dans des douleurs, des agitations, des angoisses continuelles, par l’idée que nous pouvons tout perdre un jour. Ne recourons ni à la pauvreté, ni à l’indifférence, ni au célibat, afin de n’avoir pas à redouter la perte de notre fortune, de nos amis, de nos enfants : à tous les accidents, ce qu’il faut opposer, c’est la raison. Mais en voilà, pour le présent, plus qu’assez sur ce point.

Les Athéniens, fatigués de la longue guerre qu’ils avaient faite sans succès contre les Mégariens, pour leur reprendre l’île de Salamine, avaient défendu par un décret, sous peine de mort, de jamais rien proposer, ni par écrit ni de vive voix, pour en revendiquer la possession. Solon s’indigna d’une telle honte. Il voyait d’ailleurs que les jeunes gens, pour la plupart, ne demandaient qu’un prétexte de recommencer la guerre, mais