Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/235

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aux séditions d’autrefois. Les habitants de la plaine avaient Lycurgue à leur tête ; Mégaclès, fils d’Alcméon, était chef des habitants de la côte, et Pisistrate de ceux de la montagne. À ces derniers s’était jointe la tourbe des Thètes, les plus âpres ennemis des riches. La ville observait encore, il est vrai, les lois de Solon ; mais tous les citoyens comptaient sur une révolution, et désiraient une autre forme de gouvernement : non qu’aucun parti voulût faire régner la justice ; mais chacun d’eux espérait gagner au changement, et dominer sans rival les partis contraires. Voilà où en étaient les choses, quand Solon revint à Athènes. Il fut reçu de tout le monde avec honneur et respect. Comme il ne pouvait plus, à cause de son grand âge, ni parler ni agir comme auparavant en public, et qu’il ne l’essayait même plus, il eut, avec les chefs des factions, des conférences particulières, et il s’efforça de terminer leurs différends et de les réconcilier ensemble. Pisistrate surtout paraissait entrer dans les vues de Solon. Il y avait, dans la parole de Pisistrate, quelque chose d’insinuant et d’affectueux ; il était secourable aux pauvres, doux et modéré envers ses ennemis. Les qualités que la nature lui avait refusées, il les imitait, et si parfaitement, qu’on y croyait, en lui, bien plus qu’en ceux qui les avaient réellement : aussi passait-il pour un homme modeste, réservé, zélé partisan de la justice et de l’égalité, ennemi déclaré de ceux qui voulaient quelque réforme, ou qui aspiraient à une révolution. Cette dissimulation en imposait au peuple ; mais Solon eut bientôt pénétré le caractère de Pisistrate, et deviné son dessein. Il ne rompit pourtant point avec lui : il essaya de l’adoucir, de le ramener par ses conseils. Il lui disait souvent, à lui-même et à d’autres, que, si l’on pouvait déraciner de son âme cette ambition démesurée, et le guérir de cette passion de la tyrannie, il n’y aurait pas, dans Athènes, un homme mieux fait pour la vertu, ni un meilleur citoyen.

Thespis, dans ce temps-là, commençait à changer la