Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/236

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tragédie[1] ; et la nouveauté du spectacle attirait la foule, n’y ayant point encore de concours, où les poëtes vinssent se disputer le prix. Solon, naturellement curieux, et qui, dans sa vieillesse, se livrait davantage aux passe-temps et aux jeux, et même à la bonne chère et à la musique, alla entendre Thespis, lequel, suivant l’usage des anciens poëtes, jouait lui-même ses pièces. Après le spectacle, il appela Thespis, et lui demanda s’il n’avait pas honte de faire si publiquement de si énormes mensonges. Thespis répondit qu’il n’y avait point de mal à ses paroles ni à sa conduite, puisque ce n’était qu’un jeu. « Oui, dit Solon en frappant avec force la terre de son bâton ; mais, si nous souffrons, si nous approuvons le jeu, nous trouverons la réalité dans nos contrats. »

Cependant Pisistrate s’était blessé lui-même, et il s’était fait porter sur la place dans un chariot : il souleva la multitude, en faisant entendre que c’étaient ses ennemis qui l’avaient traîtreusement frappé, pour le punir des services qu’il rendait à la république. Mais, au moment où la foule commençait à faire éclater son indignation par des cris, Solon s’approcha de Pisistrate, et lui dit : « Fils d’Hippocratès, tu copies mal l’Ulysse d’Homère ; car il se blessa pour tromper les ennemis ; et toi, tu l’as fait pour tromper tes concitoyens. » La populace, pour soutenir Pisistrate, était près d’en venir aux mains ; et il y eut une assemblée générale du peuple, où Ariston proposa qu’on accordât à Pisistrate cinquante hommes armés de bâtons, pour la sûreté de sa personne. Solon se leva, et il combattit avec force la proposition. On retrouve quelque chose de ce discours dans ses poésies :

Vous ne regardez qu’à la langue, qu’aux paroles d’un homme artificieux ;

  1. Ce qu’on nommait tragédie, avant Thespis, était le dithyrambe, ou chant en l’honneur de Bacchus. Voyez mon Histoire de la Littérature grecque et mon Introduction au théâtre d’Eschyle.