Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/277

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le peuple traite les démagogues, quand ils deviennent inutiles. » Quoi qu’il en soit, il paraît que Thémistocle mit de bonne heure la main aux affaires de l’État, et qu’il s’y appliqua avec une extrême ardeur. Possédé d’un vif désir de gloire, dès son entrée dans la carrière il aspira au premier rang. Il heurta de front les hommes les plus puissants de la ville, et qui jouissaient alors du crédit : il s’acharna surtout contre Aristide, fils de Lysimachus, son éternel contradicteur. On prétend que sa haine pour Aristide venait d’une cause toute puérile : ils avaient tous deux, s’il en faut croire le philosophe Ariston[1], aimé le beau Stésiléus de Téos ; et c’est de cette rivalité que datèrent leurs longs dissentiments politiques. Mais je présume que cette première aversion se fortifia par la différence de leurs mœurs et de leur conduite. Aristide était d’un caractère doux et d’une vie irréprochable ; il ne se proposait pour but, dans ses actions politiques, ni la faveur du peuple, ni même sa propre gloire, mais ce qu’il croyait le meilleur, et ce qui se conciliait le mieux avec la sûreté et la justice. Aussi se voyait-il souvent forcé de résister à Thémistocle, et de s’opposer à l’agrandissement d’un homme qui excitait sans cesse le peuple à de nouvelles entreprises, et qui voulait tout changer dans l’État. Tel était, en effet, chez Thémistocle, l’amour effréné de la gloire, et la passion des grandes choses qui mènent aux honneurs, que, dans sa jeunesse, après la bataille de Marathon gagnée par les Athéniens sur les barbares, entendant vanter partout les exploits de Miltiade, il se montrait, dit-on, presque toujours pensif et rêveur, passant les nuits sans dormir, et ne fréquentant plus les banquets accoutumés ; et,

  1. Ariston de Chio, disciple de Zénon le stoïcien, mais disciple un peu infidèle. Il passa sa vieillesse dans les plaisirs, contre les principes de la secte, et il composa une Histoire amoureuse, où il avait recueilli une foule de traits curieux des passions de l’amour.