Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/278

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quand on s’en étonnait, et qu’on lui demandait pourquoi ce changement de vie, il répondait que le trophée de Miltiade ne lui permettait pas de dormir.

Les Athéniens regardaient la défaite des barbares à Marathon comme la fin de la guerre ; mais ce n’était là, aux yeux de Thémistocle, qu’un prélude de plus grands combats ; et ces combats, qu’il prévoyait de si loin dans l’avenir, il s’y préparait sans cesse, pour assurer le salut de tous les Grecs, et il y préparait Athènes par tous les moyens.

Sa première démarche fut d’oser, seul, proposer aux Athéniens d’affecter le produit des mines d’argent de Laurium[1], dont ils étaient dans l’usage de se partager les revenus, à la construction d’une flotte de trirèmes, pour la guerre contre Égine[2]. C’était alors la grande affaire de la Grèce ; et les Éginètes couvraient toute la mer de leurs vaisseaux. Ce fut là le motif que Thémistocle fit valoir pour atteindre son but, et non pas la crainte de Darius et des Perses, alors trop éloignés, et dont on appréhendait peu le retour. Et, pour engager les Athéniens à faire ces préparatifs, il sut réveiller à propos leur jalousie et leur ressentiment contre les Éginètes. On construisit, avec l’argent des mines, cent trirèmes, qui combattirent aussi contre Xerxès. Dès ce moment, il séduisit peu à peu Athènes à la marine, et il lui en donna le goût. « Sur terre, disait-il, nous ne sommes pas en état de résister même à nos voisins ; au lieu qu’avec des forces maritimes, nous pourrions et repousser les barbares, et commander à la Grèce. » Il transforma donc, comme dit Platon[3], d’excellentes troupes de terre en matelots et en gens de mer, et il prêta au reproche qu’on lui adresse, d’avoir arraché aux Athéniens la pique et le bouclier, pour les réduire au banc et à la rame. Et ce

  1. En Attique, près du cap Sunium.
  2. Île située à peu de distance des côtes de l’Attique.
  3. Au quatrième livre des Lois.