Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/301

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personne, espérant ou que Pausanias abandonnerait de lui-même un projet aussi déraisonnable que hasardeux, et dont il ne pouvait attendre aucun succès, ou que la révélation se ferait de quelque autre manière. Après que Pausanias eut été, comme on sait, mis à mort, on trouva chez lui des lettres et d’autres écrits, qui firent soupçonner Thémistocle de complicité. Les Lacédémoniens se déchaînèrent donc contre lui, et ses envieux d’Athènes lui intentèrent, tout absent qu’il fût, une accusation. Il plaidait sa cause par lettres, surtout pour repousser les premières calomnies de ses ennemis. « J’ai toujours recherché la domination, écrivait-il à ses concitoyens ; car je n’étais pas né pour être esclave, et je n’avais pas la volonté de le devenir. Comment donc supposer que j’aie entrepris de me livrer, moi et toute la Grèce, à des ennemis et à des barbares ? » Mais le peuple, gagné par les accusateurs, envoya des gens à Argos, avec ordre de l’arrêter, et de l’amener à Athènes, pour y être jugé par le conseil des Grecs. Thémistocle, qui pressentait ce résultat, était passé à Corcyre[1], ville dont il avait été autrefois le bienfaiteur. Nommé juge d’un différend que les Corcyréens avaient avec les Corinthiens, il avait terminé la querelle en condamnant les Corinthiens à leur payer vingt talents[2] et en décidant que Corcyre et Corinthe posséderaient en commun Leucade[3], qui était une colonie de ces deux villes.

De là il s’enfuit en Épire ; et, s’y voyant poursuivi par les Athéniens et les Lacédémoniens, il prit le parti aussi incertain que périlleux de se réfugier chez Admète, roi des Molosses. Admète avait autrefois demandé je ne sais quel service aux Athéniens ; et Thémistocle, qui jouissait

  1. Capitale de l’île du même nom, aujourd’hui Corfou, une des îles Ioniennes. Corcyre était une colonie de Corinthe, et avait eu souvent des querelles avec sa métropole.
  2. Environ 110,000 francs de notre monnaie.
  3. Ville de l’île du même nom, aujourd’hui Sainte-Maure, une des îles Ioniennes.