Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/302

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alors du plus grand crédit dans la république, l’avait fait honteusement éconduire. Admète en conservait du ressentiment ; et l’on ne doutait pas qu’il ne se vengeât s’il en trouvait l’occasion. Mais Thémistocle, dans son exil, redoutait bien plus l’envie de ses concitoyens, toute neuve encore, que la vieille inimitié du roi : il aima donc mieux se livrer à Admète. Il se présenta devant lui, comme un suppliant, mais d’une façon particulière au pays, et assez étrange. Il prend entre ses bras le fils du roi, encore enfant, et il se jette à ses genoux devant le foyer. C’est la supplication que les Molosses regardent comme la plus sacrée, et la seule qu’il ne soit pas permis de rejeter. Ce fut Phthia, femme du roi, suivant quelques-uns, qui suggéra à Thémistocle ce qu’il y avait à faire, et qui le plaça elle-même devant le foyer, avec son fils entre les bras. Selon d’autres, Admète lui-même, pour s’excuser, sur une obligation religieuse, de refuser de livrer Thémistocle à ses persécuteurs, aurait imaginé cette supplication, et ménagé ce coup de théâtre.

C’est chez Admète qu’Épicratès d’Acharne[1] lui envoya sa femme et ses enfants, qu’il avait fait sortir secrètement d’Athènes. Épicratès fut, pour ce fait, cité depuis en justice par Cimon, et condamné à mort, s’il en faut croire Stésimbrote, lequel oubliant ensuite, je ne sais comment, ce qu’il a dit, ou le faisant oublier à Thémistocle, raconte qu’Épicratès fit voile pour la Sicile ; que là, il demanda au tyran Hiéron sa fille en mariage, et que, sur le refus d’Hiéron, il s’embarqua pour l’Asie. Mais ce récit n’a aucune vraisemblance ; car, Hiéron, d’après le témoignage de Théophraste, dans son livre sur la Royauté, ayant envoyé des chevaux à Olympie pour y disputer le prix de la course, et fait dresser un pavillon orné avec la plus grande magnificence, Thémistocle proposa, dans l’assemblée des Grecs, d’arracher le pa-

  1. Acharne était un des dèmes de l’Attique. Il ne s’agit donc pas ici, comme quelques-uns le disent, d’un homme d’Acarnanie, mais d’un Athénien.