Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/375

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suprême ; et puis il voyait que Cimon, tout dévoué à l’aristocratie, était l’idole des classes élevées et de tous les hommes bien nés : il se jeta donc dans les bras du peuple, pour y trouver sa propre sûreté, et pour s’en faire un appui et un instrument contre Cimon.

Dès ce moment, il embrassa une manière de vivre toute nouvelle. On ne le voyait plus passer dans les rues de la ville, que pour se rendre aux assemblées du peuple ou au sénat ; et il renonça aux banquets, aux sociétés, aux causeries. Tant qu’il fut à la tête des affaires, et il y demeura longtemps, il n’alla souper chez aucun de ses amis : un jour seulement, il assista au festin de noces d’Euryptolème, son cousin ; et encore se leva-t-il de table, aussitôt après les libations[1]. C’est qu’en effet, il n’est rien de plus dangereux, pour la grandeur, que la familiarité ; et quiconque vise à une haute considération ne se doit point prodiguer. Ce qui, dans la véritable vertu, paraît toujours le plus beau, c’est ce qui est le plus en vue ; et, si la vie extérieure des vrais grands hommes excite l’admiration du public, leurs familiers n’admirent pas moins leur vie intérieure. Mais Périclès craignait que la multitude ne se dégoûtât de lui, si elle le voyait continuellement : il mit donc des intermittences dans son commerce avec elle. Il ne parlait pas sur tous les sujets, ni ne se mettait pas toujours en avant : il se réservait pour les grandes occasions, comme la trirème de Salamine[2], suivant le mot de Critolaüs[3]. Dans les autres circonstances, il se faisait suppléer par des amis, et par des orateurs dévoués à ses intérêts. Tel était Éphialte, celui qui détruisit la puissance de l’Aréopage, et qui, selon l’ex-

  1. Le repas finissait par des libations ; mais les convives, après les libations, restaient à boire et à se divertir.
  2. C’était un vaisseau sacré, qu’on n’employait que dans les circonstances solennelles.
  3. Un des trois philosophes qui furent députés à Rome, au temps du vieux Caton.