Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/491

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toujours en exercice, frugal et austère ; en Ionie, délicat, oisif et voluptueux ; en Thrace, toujours à cheval ou buvant ; surpassant, chez le satrape Tisapherne, par sa dépense et par son faste, toute la magnificence des Perses. Ce n’est pas qu’il passât réellement, avec cette extrême facilité, à des habitudes contraires, ni qu’il se fît dans ses mœurs un changement véritable ; mais, comme il eût couru risque, en suivant son naturel, d’offenser ceux avec qui il vivait, il savait toujours prendre un extérieur conforme à leurs manières, et se cacher sous un déguisement qui leur plût. À Lacédémone, on pouvait dire de lui, en le jugeant sur le dehors : « Ce n’est pas le fils d’Achille, mais Achille lui-même ; c’est bien là l’élève de Lycurgue. » Mais, en approfondissant au vrai ses inclinations et ses actes, on eût dit : « C’est la femme d’autrefois[1]. » En effet, il corrompit Timéa, femme du roi Agis, pendant que celui-ci était à la guerre et absent de Sparte ; et si bien, qu’elle devint grosse de ses œuvres, et qu’elle ne s’en cachait pas. Elle accoucha d’un fils, qu’elle appelait en public Léotychidas ; mais le nom dont le caressait la mère dans son intérieur, devant ses amis et ses suivantes, c’était celui d’Alcibiade : tant l’amour s’était violemment emparé du cœur de cette femme ! Quant à Alcibiade, il disait, avec un air de fatuité, qu’il l’avait séduite, non point dans le désir de faire affront au roi, ni vaincu par la volupté, mais pour faire régner des hommes de sa race à Lacédémone. Il ne manqua pas de gens pour rapporter à Agis ce qui s’était passé ; et Agis y ajouta foi d’autant plus aisément, que les époques s’accordaient avec ces rapports : en effet, une nuit, ayant senti un tremblement de terre, il s’était enfui tout effrayé de l’appartement de sa femme ; et, pendant les dix mois qui avaient suivi, il ne s’était point approché d’elle. Léotychidas étant né après ce terme, il refusa de

  1. Euripide, Oreste, vers 129.