Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/494

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villes qui s’étaient révoltées, et pour contenir les autres dans le devoir. Ils pouvaient encore aisément faire tête sur mer à leurs ennemis ; mais ils craignaient Tisapherne, et les cent cinquante vaisseaux phéniciens dont l’arrivée, qu’on annonçait comme prochaine, ne leur laisserait aucun espoir de salut. Alcibiade, qui connaissait leur position, envoya secrètement à Samos, vers les principaux Athéniens, et il leur fit espérer qu’il leur ménagerait l’amitié de Tisapherne ; non point, disait-il, pour faire plaisir au peuple, à qui il ne se fiait pas, mais dans l’intérêt des gens de bien, si toutefois ils osaient se montrer hommes de cœur, réprimer l’insolence de la multitude, et sauver, par leurs propres mains, les affaires et la république[1]. Tous écoutèrent volontiers ses propositions : seul, Phrynichus le Diradiote[2], l’un des généraux, soupçonna, ce qui était vrai, qu’Alcibiade, aussi indifférent pour l’oligarchie que pour la démocratie, voulait seulement, à quelque prix que ce fût, obtenir son rappel, et, en calomniant le peuple, flatter les puissants, et s’insinuer dans leurs bonnes grâces. Il résista donc ; mais l’autre avis prévalut. Phrynichus, traitant dès lors Alcibiade en ennemi déclaré, recommanda sous main à Astyochus, chef de la flotte ennemie, qu’il se méfiât d’Alcibiade, et qu’il le fit arrêter, comme ayant des intelligences dans les deux partis. Traître, il s’adressait à un traître. Astyochus, tout dévoué à Tisapherne, et qui voyait dans quel crédit Alcibiade était auprès de lui, informa celui-ci de la démarche de Phrynichus. Alcibiade envoya aussitôt à Samos accuser Phrynichus ; et Phrynichus, qui voyait tout le monde indigné et soulevé contre lui, ne trouva pas d’autre moyen de se tirer d’embarras, que de remédier au mal par un mal plus grand encore. Il dépêcha sur-le-champ

  1. Tous les moyens mis en œuvre par Alcibiade pour préparer son rappel sont racontés en détail dans le huitième livre de Thucydide.
  2. C’est-à-dire du dème nommé Dirade.