Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/510

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cibiade qui avait ruiné les affaires et perdu les vaisseaux, par ses insolents abus de pouvoir : c’était pour avoir livré le commandement à des hommes qui ne devaient ses bonnes grâces qu’à leurs débauches et à leurs plaisanteries de matelots, pendant qu’il s’en allait, à son caprice, s’enrichir dans les pays voisins, et passer le temps à boire et à s’ébattre sans vergogne au milieu des courtisanes d’Abydos et de l’Ionie, sans s’inquiéter de l’armée ennemie qui s’apprêtait à l’attaquer. On reprochait aussi à Alcibiade les forts qu’il avait bâtis en Thrace, près de Bisanthe : « C’est une retraite qu’il se ménage, disait-on, ne pouvant ou ne voulant pas vivre dans sa patrie. »

Les Athéniens ajoutèrent foi à ces accusations ; et, n’écoutant que leur colère et leur animosité contre lui, ils nommèrent d’autres généraux. Informé de ce qui se passait, et craignant qu’on n’allât plus loin encore, Alcibiade quitta tout à fait le camp. Il rassembla des troupes étrangères, et il s’en alla faire, pour son propre compte, la guerre aux Thraces indépendants ; et il tira, des prises qu’il fit, de grandes sommes d’argent, en même temps que sa présence mit les Grecs du voisinage à l’abri des incursions des barbares.

À quelque temps de là, les généraux Tydée, Ménandre et Adimante étaient à Égos-Potamos[1]), avec tout ce qu’il restait encore de vaisseaux aux Athéniens. Ils avaient pris l’habitude d’aller tous les matins, à la pointe du jour, provoquer Lysandre, qui se tenait à Lampsaque[2] ; puis ils s’en retournaient à leur mouillage, et ils passaient la journée sans ordre, sans précaution, et affectant un grand mépris pour les Lacédémoniens. Alcibiade, qui n’était pas loin d’eux, sentit le danger de leur position ; et il crut devoir

  1. C’est-à-dire au fleuve de la chèvre, qui avait son embouchure dans l’Hellespont, du côté de l’Europe.
  2. Sur la côte d’Asie, à peu près en face d’Égos-Potamos.