Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/541

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gulière aventure. Tullus se lève, vient trouver Marcius, lui demande qui il est, et ce qu’il désire. Marcius alors se découvre la tête ; et, après un moment de silence : « Tullus, dit-il, si tu ne me reconnais pas encore, ou si tu n’en crois pas tes yeux, il faut nécessairement que je me dénonce moi-même. Je suis Caïus Marcius, celui qui vous a fait tant de maux, à toi et aux Volsques ; maux dont le surnom de Coriolan que je porte partout est la preuve irréfragable. Ce surnom, monument de ma haine contre ton pays, voilà la seule récompense qui me reste de tous les travaux que j’ai subis, de tous les périls auxquels je me suis exposé ; voilà le seul bien qu’on n’ait pu me ravir. J’ai été dépouillé de tous les autres, par l’envie et la violence du peuple, et par la mollesse, par la trahison des magistrats et des nobles. Banni de ma patrie, je suis venu en suppliant m’asseoir à ton foyer, non pour y chercher la sûreté et la vie ; car est-ce ici que je serais venu si j’avais craint la mort ? mais pour me venger des Romains qui m’ont chassé ; et ce m’est déjà une vengeance, que de te rendre maître de ma personne. Si donc tu as le courage d’attaquer vos ennemis, allons, tire parti de mes malheurs, noble guerrier ! et fais tourner ma disgrâce à l’avantage commun des Volsques. Je combattrai pour vous avec bien plus de succès encore que je n’ai fait contre vous ; car ceux qui connaissent le faible de l’ennemi ont un avantage que ne peuvent avoir ceux qui l’ignorent. Si tu recules à cette pensée, je ne veux plus vivre ; et toi-même tu ne dois pas sauver la vie à un homme qui fut autrefois ton ennemi et l’ennemi de ta patrie, et qui ne peut maintenant ni te servir ni te venir en aide. » Tullus, à ce discours, éprouva une joie inexprimable. « Lève-toi, dit-il à Marcius, en lui tendant la main, et reprends courage. Tu nous fais un présent bien précieux, en te donnant à nous. Espère tout de la reconnaissance des Volsques. » Alors il fait mettre Marcius à table, et il le traite avec