Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/75

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naient à Talasius : c’était un jeune homme, mais de mérite, et fort estimé. À ce nom, les autres marquèrent leur approbation par des applaudissements ; et quelques-uns d’entre eux retournèrent même avec le cortège, par amitié pour Talasius et pour lui faire honneur, répétant son nom à grands cris. De là, chez les Romains, cet usage de chanter, dans leurs noces, le nom de Talasius, comme, chez les Grecs, on chante celui d’Hyménée : cette épouse avait fait le bonheur, dit-on, de Talasius. Sextius Sylla[1], le Carthaginois, écrivain non moins favorisé des Grâces que des Muses, m’a dit que Romulus avait donné à ses soldats ce nom pour le mot d’ordre de l’enlèvement ; que ceux qui emmenaient les jeunes filles criaient tous ; Talasius ! et que c’est de là que l’usage s’en est depuis conservé dans les noces. Mais le plus grand nombre des auteurs, entre autres Juba, croient que c’est, pour les femmes mariées, une exhortation, un encouragement à aimer le travail, et à filer de la laine, ce qu’ils nommaient talasia ; car c’est ainsi qu’alors[2] les mots latins se confondaient avec les mots grecs.

Si cette observation est exacte, et si les Romains se servaient alors, comme nous, du mot talasia, on pourrait trouver à la coutume une origine-plus probable, dans le traité qui termina la guerre des Sabins et des Romains. Les premiers stipulèrent que leurs filles ne seraient pas assujetties, par les époux, à d’autre travail qu’à filer de la laine. La tradition se perpétua depuis, à chaque mariage. Si les parents de l’épousée et ceux qui l’accompagnent, et tous ceux qui assistent à la cérémonie, crient, tous ensemble et par jeu : Talasius ! c’est pour rappeler au mari qu’on ne lui mène une femme à charge d’autres services que de filer de la laine.

  1. J’ignore si cet écrivain est connu autrement que par la mention de Plutarque.
  2. Je suis la leçon οὕτω τότε. La leçon vulgaire οὔπω donne un sens inadmissible, et en contradiction avec plusieurs passages de Plutarque même.