Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/81

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la vase s’affaissait sous les pas. Les Sabins, qui ne connaissaient pas le terrain, allaient donner dans cette fondrière : un heureux hasard les en préserva. Curtius, guerrier distingué, tout fier de son courage et de sa réputation, s’était avancé à cheval loin en avant des autres Sabins : son cheval tomba dans le bourbier, et s’y enfonça. Curtius fit son possible, du fouet et de la voix, pour le dégager ; mais, voyant ses efforts inutiles, il laissa son cheval et se sauva. L’endroit s’appelle, encore aujourd’hui, de son nom, le lac Curtius[1]. Les Sabins, après s’être préservés de ce danger, engagèrent la bataille, qui fut sanglante et longtemps douteuse : il y périt beaucoup de monde, entre autres Hostilius, mari d’Hersilie, et, à ce qu’on croit, l’aïeul de ce Tullus Hostilius qui fut roi de Rome après Numa.

Il y eut, en peu de jours, plusieurs combats, comme on peut croire ; mais le dernier est mémorable entre tous. Romulus, blessé à la tête d’un coup de pierre qui manqua de le renverser, cesse de résister aux Sabins : à l’instant les Romains plient, et ils sont repoussés jusqu’au mont Palatin. Romulus, un peu revenu de sa blessure, voulait courir aux fuyards et les rallier : il leur criait, de toute sa force, de tenir ferme, de faire face à l’ennemi ; mais, comme la fuite était générale, et que personne n’osait retourner, il lève les mains au ciel, et il prie Jupiter d’arrêter ses troupes, et de sauver la fortune des Romains de sa ruine. À peine avait-il fini sa prière, qu’un grand nombre de fuyards eurent honte à l’aspect de leur roi ; et le courage prit en eux, par un changement subit, la place de la frayeur. Ils s’arrêtèrent à l’endroit où est maintenant le temple de Jupiter Stator, c’est-à-dire qui arrête. Là, ils se rallient, et ils repoussent les Sabins jusqu’au lieu où sont main-

  1. Le lac, selon Tite-Live, devait son nom au dévouement d’un citoyen romain qui s’y était jeté pour obéir à un oracle ; et Varron dit qu’on l’appela Curtius, parce qu’un consul de ce nom l’avait entouré d’un mur.