Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/93

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la puissance et des honneurs. Enflé de ses succès, plein d’une orgueilleuse confiance en lui-même, il se défit de son affabilité populaire, et il se laissa aller aux manières odieuses d’un despote. On fut choqué du faste de ses habits. Vêtu d’une tunique de pourpre, il portait, par-dessus, la toge prétexte. Il donnait ses audiences assis sur un siège renversé, et entouré de ces jeunes gens qu’on appelait Célères, à cause de leur promptitude à exécuter ses ordres. D’autres marchaient devant lui, armés de bâtons, avec lesquels ils écartaient la foule, et ceints de courroies dont ils garrottaient incontinent ceux qu’il ordonnait d’arrêter. C’est du mot latin ligare, qui signifiait autrefois lier, et qui a été remplacé depuis par alligare[1] que ces porteurs de verges sont appelés licteurs, et faisceaux les baguettes dont ils se servent dans leurs fonctions. On peut dire, toutefois, que c’est de l’ancien mot liteurs qu’on a fait licteurs, par l’interposition de la lettre c : liteurs, c’est notre grec liturges, officiers publics[2], Encore aujourd’hui, les Grecs emploient léïtos pour dire le peuple ; et laos est la populace.

À la mort de Numitor son aïeul, Romulus avait le droit de régner dans Albe ; mais il fut généreux envers ce peuple : il lui laissa le gouvernement de ses affaires, et se réserva seulement de nommer, tous les ans, un magistrat pour rendre la justice aux Albains. C’était éveiller, chez les puissants de Rome, le désir d’un État indépendant et sans roi, où ils pussent commander et obéir tour à tour. Les patriciens n’avaient aucune part aux affaires ; leur dignité n’était qu’un vain titre et une distinction honorifique : on les appelait au conseil par coutume, plutôt que pour y délibérer. Là, ils écoutaient en silence les ordres du roi ; et l’unique avantage qu’ils eussent sur le vulgaire, c’était d’être instruits les premiers de ce qui

  1. En réalité, le mot ligare ne tomba point en désuétude, et il s’employait concurremment avec alligare.
  2. La première étymologie est la plus vraie.