Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/94

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avait été décidé. Mais il y eut quelque chose qui les blessa bien davantage : Romulus, de sa seule autorité, et sans leur approbation, sans même les avoir consultés, distribua aux soldats les terres conquises, et rendit aux Véiens leurs otages.

Cette conduite fut, aux yeux du sénat, le comble de l’injure. Aussi ne manqua-t-on point de soupçonner les sénateurs d’un crime, et de les en accuser, quand Romulus, quelque temps après, eut subitement disparu. Quoi qu’il en soit, Romulus disparut le jour des nones de juillet[1], comme ce mois se nomme aujourd’hui, de Quintilis, comme on disait alors.

Tout ce qu’on sait sur cette mort, et le seul point sur lequel on s’accorde, c’est qu’elle est arrivée ce jour-là. En effet, il s’y pratique, maintenant encore, plusieurs cérémonies qui rappellent cet événement. Au reste, on ne doit pas s’étonner de cette incertitude. Quand Scipion l’Africain[2] lui-même fut trouvé mort après son souper, on ne put jamais ni connaître ni déterminer le genre de sa mort. Les uns disent que, valétudinaire et de faible complexion, il avait été pris d’une subite défaillance ; les autres, qu’il s’était empoisonné lui-même ; enfin, on croit que ses ennemis entrèrent chez lui pendant la nuit, et qu’ils l’étouffèrent. Et pourtant le corps de Scipion fut exposé à la vue du public, et chacun put y démêler les indices, y reconnaître les traces du genre de mort ; tandis que Romulus disparut tout à coup, sans qu’il restât aucune partie de son corps, aucun lambeau de son vêtement. Aussi a-t-on conjecturé que les sénateurs s’étaient jetés sur lui, dans le temple de Vulcain, et l’avaient mis à mort ; qu’ils avaient partagé le corps en morceaux, et que chacun en avait emporté, sous sa robe, une partie.

  1. C’est-à-dire le 7 du mois : les nones étaient huit jours avant les ides, et les ides de juillet étaient le 15, comme dans les mois de mai et d’octobre.
  2. Le deuxième Africain, fils de Paul-Émile.