Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/149

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effroi : jamais on ne vit, dit-on, ni alors, ni dans la suite, autant de milliers de Romains sous les armes[1]. Il y en eut encore une preuve dans les cérémonies religieuses inusitées, auxquelles ils recoururent alors. Il n’y avait dans leur religion rien de barbare, rien qui sentît un peuple farouche : adonnés surtout aux croyances religieuses de la Grèce, ils pratiquaient un culte fort doux. Cette fois pourtant, lorsque la guerre survint, ils furent contraints d’obéir à quelques oracles des livres sibyllins : on enterra vivants, dans la place du marché aux bœufs, deux Grecs, homme et femme, avec un Gaulois et une Gauloise. De nos jours encore, au mois de novembre, on fait pour ces victimes des sacrifices auxquels ne peuvent assister ni Grecs ni Gaulois, et dont il est interdit de leur divulguer les mystères.

Dans les premières rencontres, les Romains eurent de grands succès et des revers ; mais ces combats furent sans résultat décisif. Comme les consuls Flaminius et Furius marchaient contre les Insubres avec des forces considérables, on vit la rivière qui traverse le Picénum rouler des eaux ensanglantées, et l’on assura que l’on avait vu trois lunes à la fois dans les environs d’Ariminium. Les prêtres chargés d’observer les présages pendant les élections consulaires soutinrent que l’élection des consuls s’était faite sous des auspices fâcheux. Aussitôt le Sénat envoya au camp des lettres de rappel pour les consuls ; ordre de revenir sans retard se démettre de leur charge, et défense d’entreprendre quoi que ce fût contre l’ennemi, en qualité de consuls. Flaminius reçut la lettre du Sénat ; mais il ne l’ouvrit qu’après avoir livré bataille, mis les ennemis en fuite, et livré leur pays au pillage. Il revint chargé de dépouilles ; mais le peuple n’alla pas au-

  1. Il y avait, suivant Polybe, sept cent mille hommes de pied et soixante et dix mille chevaux.