Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/171

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ceux qui eurent à traiter avec lui, à l’égard de tant de villes et de particuliers, il se conduisit avec tant de bienveillance, que, si à Enna[1], à Syracuse, il se fit quelque chose de rigoureux, ceux même qui l’ont éprouvé, plus que ceux qui l’ont exécuté, paraissent en avoir été la cause. Nous ne citerons qu’un fait entre plusieurs.

Il y a en Sicile une ville nommée Engyum[2] ; elle n’est pas grande, mais fort ancienne et célèbre à cause de l’apparition des déesses qu’on appelle Mères[3]. On attribue aux Crétois la fondation du temple ; et l’on y montrait des lances et des casques d’airain, ceux-ci portant le nom de Mérion, et les lances celui d’Ulysse : c’étaient des offrandes faites par eux aux déesses. Cette ville avait pris chaudement parti pour les Carthaginois ; mais Nicias, un des principaux citoyens, lui conseillait de revenir aux Romains ; il exprimait librement et ouvertement sa pensée dans les assemblées, et prouvait que l’opinion de ses adversaires était contraire aux intérêts de la ville. Ceux-ci, qui craignaient son crédit et sa réputation, formèrent le projet de l’enlever et de le livrer aux Phéniciens. Nicias, ayant eu vent de ce projet, et remarquant qu’on l’épiait secrètement, se mit à répandre dans le public des bruits peu convenables sur les Mères, et à faire bien des choses opposées à la croyance reçue de l’apparition de ces déesses, comme s’il n’y ajoutait pas foi lui-même et qu’il méprisât cette croyance. Ce dont ses ennemis furent bien aises ; car il leur fournissait par là l’excuse la plus grande de ce qu’ils voulaient lui faire souffrir. Le jour qu’ils devaient se saisir de lui, il arriva qu’on tint une assemblée

  1. Ville du centre de la Sicile, située au sommet d’un rocher escarpé.
  2. Sur le mont Héréen, près de la source du fleuve Himère.
  3. Cybèle, Junon et Cérès.