Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/23

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ramènent celui qui s’était sauvé sur le rocher, et qui criait qu’il n’était pas coupable ; qu’il n’avait fait que remplir un devoir, en frappant le meurtrier de son père. L’événement s’était passé, disait-il, dans la ville de Léontium. Plusieurs de ceux qui étaient là confirmèrent sa déposition ; et l’on admira avec quelle adresse la Fortune sait amener une chose par une autre, rapprocher les faits les plus éloignés, les lier d’une même chaîne, alors qu’ils semblaient le plus différer les uns des autres et n’avoir entre eux rien de commun, et les disposer sans cesse de façon à ce que la fin de l’un soit le commencement de l’autre. Les Corinthiens donnèrent à cet homme une récompense de dix mines[1], parce qu’il avait prêté au bon génie protecteur de Timoléon l’assistance d’une juste colère, et qu’au lieu de satisfaire plutôt un ressentiment déjà ancien, il l’avait, par des motifs particuliers, suspendu jusqu’au moment où la Fortune devait le faire servir à sauver Timoléon. Au reste, ce bonheur présent releva leurs espérances pour l’avenir ; ils entourèrent à l’envi Timoléon de leurs respects, ils veillèrent attentivement à la conservation d’un homme en qui ils voyaient un être sacré, un vengeur envoyé à la Sicile par la divinité.

Icétas, qui venait de manquer son coup, et qui voyait grossir sans cesse le parti de Timoléon, reconnut enfin son tort de ce qu’ayant sous sa main les imposantes forces des Carthaginois, il avait l’air d’avoir honte d’en disposer, ne les employant que par petites portions, comme s’il eût dérobé plutôt qu’acheté cette alliance ; il appela donc auprès de lui Magon, leur général, avec toute leur flotte. Magon entra dans le port, à la tête d’une flotte formidable, composée de cent cinquante voiles, et débarqua soixante mille hommes, qu’il fit

  1. Un peu moins de mille francs de notre monnaie.