Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/290

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et frivole passion ; ils aimaient les habits magnifiques, les tapis de pourpre ; ils rivalisaient de somptuosité à leur table et dans leurs festins : faire disparaître entièrement ce mal était impossible. Philopœmen commença par détourner ce goût de luxe des choses inutiles vers les utiles et les honnêtes ; et bientôt il les détermina et les poussa tous à retrancher de la dépense qu’ils faisaient chaque jour pour le soin de leurs corps, et à ne montrer de recherche et de magnificence que dans leurs armes et leur équipement militaire. Alors on ne voyait plus dans les ateliers des forgerons que coupes et vases précieux mis en pièces, que cuirasses dorées, boucliers et freins argentés ; dans le stade, que jeunes chevaux que l’on domptait, et jeunes gens qui s’exerçaient au maniement des armes ; entre les mains des femmes, que casques et aigrettes qu’elles ornaient de teintures, tuniques de cavaliers et chlamydes de fantassins qu’elles parsemaient de broderies. Ce spectacle même augmentait le courage, inspirait l’élan du soldat, provoquait en lui l’ardeur et l’impatience d’affronter les périls. La somptuosité dans tout ce qui est fait pour la vue produit l’amour du luxe et engendre la mollesse dans ceux qui en font usage ; c’est comme un aiguillon, un chatouillement des sens qui détruit la force du jugement et l’énerve ; transporté sur les objets utiles, ce même éclat fortifie et élève le cœur. Voyez Achille dans Homère[1] : à la vue des armes nouvelles déposées devant lui, il est emporté, enflammé du désir d’en faire usage.

Philopœmen, après avoir donné aux jeunes gens ce genre de parure, se mit à les exercer, à les façonner ; et il les trouva dociles, pleins d’ardeur et d’une noble émulation dans l’exécution des manœuvres. Il est étonnant combien ils aimaient cette ordonnance serrée, compacte, et qui paraît si difficile à rompre ; l’habitude de porter

  1. Au livre XIX de l’Iliade.