Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/33

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Comme il montait une colline du haut de laquelle on devait découvrir le camp et l’armée des ennemis, il rencontra des mulets chargés d’ache. Les soldats regardèrent cette rencontre comme un funeste présage, parce que nous avons l’habitude de couronner d’ache les tombeaux, coutume qui a donné naissance au proverbe : Il n’a plus besoin que d’ache, quand on parle d’un homme dangereusement malade. Pour les guérir de cette superstition, et ranimer leur courage abattu, Timoléon fait faire halte à l’armée, tient un discours convenable à la circonstance ; et en finissant : « La couronne, dit-il, vient s’offrir à vous, même avant la victoire. » Il faisait allusion à la couronne d’ache que les Corinthiens donnaient aux vainqueurs des jeux isthmiques : c’était chez eux la couronne sacrée et nationale ; elle y était encore en usage du temps de Timoléon, comme elle l’est aujourd’hui dans les jeux néméens ; ce n’est que depuis peu que la couronne de pin l’a remplacée. Timoléon, après son discours aux soldats, prit de l’ache, et se couronna le premier ; ses capitaines imitèrent son exemple, et après eux toute l’armée. Dans le même instant les devins aperçoivent deux aigles qui passaient d’un vol rapide ; l’un tenait dans ses serres un serpent tout déchiré, et l’autre volait en poussant de grands cris, comme pour animer les troupes : ils les montrent aux soldats, et tout le monde se met à prier les dieux et à implorer leur assistance.

On était vers le commencement de l’été, et la fin du mois Thargélion[1] allait ramener le solstice. Un brouillard épais, qui se levait de la rivière, couvrait à ce moment la campagne d’une profonde obscurité ; on ne pouvait rien apercevoir de l’armée des ennemis ; on entendait seulement monter du sein de cette immense armée une clameur lointaine et confuse, qui parvenait jusqu’au

  1. Partie de mai et de juin.