Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/360

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Pyrrhus de confiance ; bien plus, elles excitèrent, même chez les Épirotes, une grande ardeur et une grande impatience de faire cette expédition.

Il y avait un Thessalien nomme Cinéas qui passait pour homme d’un grand sens ; il avait été disciple de l’orateur Démosthène ; et, seul de tous les orateurs de son temps, il paraissait présenter à ses auditeurs comme une image de la véhémence et de la vivacité de son modèle. Il était attaché au service de Pyrrhus ; et dans les ambassades dont il fut chargé auprès des villes, il vérifia le mot d’Euripide[1] :

Ce que ferait le fer des ennemis, il saura l’accomplir.

Aussi Pyrrhus disait-il qu’il avait acquis plus de villes par l’éloquence de Cinéas que par la force de ses propres armes ; et il le comblait des plus grands honneurs, et l’employait de préférence à tous les autres. Cinéas voyant alors Pyrrhus impatient de s’élancer sur l’Italie, saisit un moment de loisir, et l’amena à la conversation suivante : « On dit, Pyrrhus, que les Romains sont fort bons guerriers, et qu’ils commandent à plusieurs nations vaillantes. Si les dieux nous donnent de les vaincre, quel usage ferons-nous de la victoire ? — Cinéas, dit Pyrrhus, la chose est évidente : les Romains, une fois vaincus, il n’y aura pas dans le pays une ville barbare ou grecque capable de nous résister ; et nous aurons bientôt toute l’Italie, dont tu dois connaître mieux que tout autre la grandeur, la valeur et la puissance. » Après un moment de silence, Cinéas reprit : « — Maîtres de l’Italie, roi, que ferons-nous ? » Et Pyrrhus ne voyant pas encore où il en voulait venir : « La Sicile est proche et nous tend les bras ; c’est une île

  1. Dans les Phéniciennes, vers 526.