Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/484

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l’entrevue, d’écrire aux éphores une autre lettre, où il leur dirait qu’il n’avait reçu de lui aucun tort, et qu’il n’avait aucun reproche à lui faire. Mais il ne savait pas que c’était avec un Crétois, comme dit le proverbe, qu’il voulait agir en Crétois[1], Pharnabaze promit tout ; il écrivit devant Lysandre une lettre telle qu’il la souhaitait ; mais il en tenait cachée une autre toute différente, qu’il avait écrite d’avance ; et, au moment d’apposer le sceau, il substitua l’une à l’autre les deux lettres, qui étaient au dehors parfaitement semblables, et donna à Lysandre celle qu’il avait préparée secrètement. Arrivé à Lacédémone, Lysandre, selon l’usage, se rendit au palais, et remit aux éphores la lettre de Pharnabaze, ne doutant pas qu’il ne fût justifié de l’accusation qu’il avait le plus à craindre ; car Pharnabaze était fort aimé des Lacédémoniens, parce que, de tous les généraux du roi, c’était celui qui s’était montré, dans la guerre, le plus dévoué à leur parti. Les éphores, après avoir lu la lettre, la lui montrèrent ; et il reconnut

Qu’Ulysse n’est donc pas seul rusé[2]

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Il se retira confus et troublé.

Quelques jours après, il alla trouver les éphores, et leur dit qu’il ne pouvait se dispenser de faire un voyage au temple d’Ammon, pour y offrir au dieu les sacrifices qu’il avait voués avant ses victoires. En effet, quelques-uns donnent pour certain que lorsqu’il assiégeait la ville des Aphytéens[3], dans la Thrace, Ammon lui apparut en songe ; que, regardant cette apparition comme un ordre du dieu, il abandonna le siège, et chargea les Aphytéens

  1. Les Crétois, comme nous l’avons déjà remarqué, passaient pour fourbes et menteurs.
  2. C’est un vers tiré de quelque tragédie perdue.
  3. Aphytis, à l’entrée du golfe Toronaïque.