Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/71

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haie impénétrable de boucliers, serrés les uns contre les autres, et de ce front hérissé de piques, Paul Émile se sentit frappé d’étonnement et de crainte. Il confessa n’avoir jamais vu de spectacle plus terrible ; et il parla souvent depuis de l’impression que cette vue avait faite sur lui. Mais il s’agissait, en ce moment, de soutenir le courage de ses troupes : il parcourut les rangs à cheval, avec un visage serein et souriant, sans casque et sans armure. Pour le roi de Macédoine, à peine l’action engagée, suivant le récit de Polybe, il céda à une honteuse frayeur, et se sauva à toute bride dans la ville de Pydna, sous prétexte d’y sacrifier à Hercule ; mais ce dieu ne reçoit pas les lâches sacrifices que lui offrent des lâches ; il n’exauce pas leurs vœux coupables. Serait-il juste, en effet, que celui qui ne tire pas frappât le but ? qu’on remportât la victoire quand on n’attend pas même l’ennemi ? qu’un oisif vît accomplir ses souhaits, et qu’un méchant fût heureux ? Mais le dieu ne fut pas sourd aux vœux de Paul Émile, qui lui demandait la victoire les armes à la main, et qui appelait, en combattant, Hercule à son aide.

Quoi qu’il en soit, un certain Posidonius[1], qui dit avoir vécu dans ce temps-là et s’être trouvé à cette bataille, raconte, dans une histoire de Persée qu’il a écrite en plusieurs livres, que ce ne fut ni par lâcheté, ni sous prétexte d’un sacrifice à faire que Persée se retira ; mais que, la veille du combat, il avait reçu à la jambe un coup de pied de cheval ; qu’au moment de la bataille, malgré l’incommodité de sa blessure et les remontrances de ses amis, il se fit amener un des chevaux qu’il montait d’ordinaire, et alla sans cuirasse se mêler aux combattants de sa phalange. Là, les traits pleuvant sur lui de toutes parts,

  1. Il ne faut pas confondre ce Posidonius avec un autre Posidonius, philosophe et historien, souvent cité par Plutarque, et qui est postérieur de plus d’un siècle à la bataille où avait fui Persée.