Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/81

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mérites tes malheurs présents, et que tu ne méritais pas ta prospérité passée ? Pourquoi abaisser ma victoire et diminuer la gloire de mon succès, en te montrant homme de si peu de cœur, et adversaire si peu digne des Romains ? La vertu force envers les malheureux le respect d’un ennemi même ; mais la lâcheté, même heureuse, n’est pour les Romains que l’objet d’un profond mépris. »

Néanmoins Paul Émile releva Persée, le prit par la main, et le remit à Tubéron. Puis, emmenant dans sa tente ses fils, ses gendres, et les plus jeunes des officiers romains, il s’assit, et resta longtemps pensif sans rien dire, au grand étonnement de tous ceux qui étaient là. Enfin il rompit le silence, et se mit à parler sur l’inconstance de la Fortune et les vicissitudes des choses humaines. « Sied-il bien, quand on n’est qu’un homme, de s’enorgueillir de sa prospérité présente, de se glorifier de la conquête d’une nation, d’une ville ou d’un royaume ? Ne nous faut-il pas réfléchir plutôt à l’instabilité de la Fortune, à cet exemple si frappant de la faiblesse humaine, qu’elle offre aux yeux de l’homme de guerre, pour l’avertir de ne rien regarder comme durable et permanent ? En quel temps peut-on avoir une confiance assurée, lorsque le moment même de la victoire sert à nous tenir le mieux en garde contre les caprices du sort ; lorsque c’est au sein même de la joie, que les révolutions de cette destinée, qui porte tour à tour ses faveurs de côté et d’autre, nous donnent de si justes sujets de défiance ? Quand la maison de cet Alexandre qui s’était élevé à un si haut degré de puissance, et qui avait conquis un si vaste empire, vous l’avez fait tomber sous les pieds en une heure ; quand ces rois qu’environnaient naguère tant de milliers de fantassins et une cavalerie si nombreuse, vous les voyez réduits à recevoir