Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/80

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qui le rencontra errant sur le rivage lui dit qu’il avait vu Oroandès cinglant en pleine mer ! Le jour commençait à poindre, tout espoir était perdu ; il se met à fuir vers la muraille le long de laquelle il était descendu. On l’aperçut cette fois ; mais il avait gagné son lieu de refuge avant que les Romains pussent l’atteindre. Pour ses enfants, il les avait remis lui-même à Ion. Ion avait été autrefois le favori de Persée, mais il le trahit alors ; et c’est par lui surtout qu’il se vit réduit, comme une bête féroce à qui l’on a enlevé ses petits, à se rendre lui-même à la discrétion de ceux qui tenaient ses enfants entre leurs mains. Il avait en Nasica une parfaite confiance, et c’est lui qu’il demanda ; mais Nasica n’était pas sur la flotte ; Persée, après avoir déploré son malheur, réfléchit à la nécessité où il était réduit, et se livra au pouvoir d’Octavius.

Persée fit voir trop bien, dans cette occasion, qu’il y avait en lui une maladie plus honteuse encore que l’avarice, à savoir l’amour de la vie, qui lui fit perdre le seul bien que la Fortune ne puisse ôter à ceux qu’elle afflige, la compassion. Il avait demandé d’être conduit à Paul Émile ; et celui-ci, qui s’attendait à trouver en lui un homme de grand cœur, précipité dans une disgrâce cruelle par la colère des dieux et la jalousie de la Fortune, était sorti de sa tente les yeux baignés de larmes, et s’avançait à sa rencontre, accompagné de ses amis. Mais Persée donna, au contraire, un humiliant spectacle : il se prosterna le visage contre terre, il embrassa les genoux de Paul Émile, il proféra des paroles si déshonorantes, et descendit à des prières si basses, que Paul Émile ne put ni les souffrir ni les entendre : « Malheureux ! dit-il, en jetant sur le roi un regard de tristesse et d’indignation, pourquoi justifier la Fortune du plus grand reproche que tu puisses lui faire ? Pourquoi prouver par ta conduite que tu