Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/92

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besoin de consolation, il consola lui-même ses concitoyens de la douleur que leur causaient ses propres infortunes.

« Je n’ai jamais craint, dit-il, rien de ce qui vient des hommes ; mais, entre les choses divines, ce que j’ai toujours redouté, c’est l’extrême inconstance de la Fortune et l’inépuisable variété de ses coups ; surtout dans cette guerre, où elle favorisait, comme un vent propice, toutes mes entreprises : sans cesse, je m’attendais à la voir renverser mon bonheur et soulever quelque tempête. En effet, dit-il encore, en un seul jour j’ai traversé la mer Ionienne, de Brundusium à Corcyre ; et de Corcyre je suis arrivé en cinq jours à Delphes, où j’ai sacrifié à Apollon. Cinq jours encore, et nous touchions, l’armée et moi, la Macédoine, et je purifiais l’armée avec les cérémonies d’usage. À l’instant même je commençai mes opérations militaires ; et, quinze jours après, j’avais terminé la guerre par la plus glorieuse victoire. Ce cours rapide de prospérités m’inspirait une juste défiance de la Fortune : bien en repos sur les ennemis, n’ayant aucun danger à en craindre, c’est pour la traversée du retour que je redoutais l’inconstance de la déesse, alors que je ramenais une telle armée, si heureusement victorieuse, et des dépouilles immenses, et des rois captifs. Arrivé sans aucun accident auprès de vous, et voyant la ville dans la joie, dans les fêtes et les sacrifices, je ne m’en suis pas moins défié du sort ; car je savais qu’il n’est pas une de ses faveurs qui soit pour nous sans mélange, et que l’envie accompagne toujours les grands succès. Mon âme, pleine de cette douloureuse inquiétude, et tremblante sur ce que l’avenir réservait à Rome, n’a été délivrée de ses craintes qu’à l’instant où j’ai vu ma maison périr dans ce terrible naufrage ; où il m’a fallu, au milieu même des jours sacrés de mon