Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
NICIAS.

par la maladie ou la mauvaise nourriture : ils ne recevaient par jour que deux cotyles[1] d’orge et une d’eau. Beaucoup qui avaient été soustraits à la mort par les soldats, ou bien qui avaient échappé en passant pour des valets, furent vendus comme esclaves, après qu’on leur eut imprimé sur le front un cheval ; et le nombre fut assez considérable de ceux qui, outre l’esclavage, supportèrent encore cette ignominie. Mais leur modestie et leur bonne conduite leur furent très-utiles : ou ils obtinrent promptement leur liberté, ou bien, s’ils demeurèrent chez ceux qui les avaient acquis, ils y jouirent de quelques égards. Plusieurs même durent leur salut à Euripide. Il paraît qu’entre tous les Grecs du dehors, il n’en était pas qui eussent pour ses poésies autant de passion que ceux de Sicile. Chaque fois que les voyageurs leur en apportaient des fragments et leur en faisaient goûter quelques essais, ils les apprenaient par cœur, et se les transmettaient avec amour les uns aux autres. Aussi dit-on qu’alors beaucoup de ceux qui revinrent sains et saufs allèrent, en rentrant dans leur patrie, saluer Euripide avec reconnaissance, et lui raconter les uns qu’ils avaient été affranchis pour avoir appris à leurs maîtres ce qu’ils se rappelaient de ses poëmes ; les autres, qu’en errant après le combat ils avaient reçu à manger et à boire pour avoir chanté ses vers. On ne doit certes pas s’en étonner, d’après ce que l’on raconte d’un navire monté par des Cauniens[2]. Des pirates leur donnant la chasse, ils poussèrent leur navire vers les ports de Sicile ; mais d’abord on ne voulut pas les recevoir, et on les en écartait. Ensuite, pourtant,

  1. La cotyle était une mesure à peu près équivalente à notre ancien demi-setier, et contenant litr. 0,270.
  2. La ville de Caunus était dans un canton de la Carie, vis à vis de l’île de Rhodes, dont elle dépendait politiquement depuis la plus haute antiquité.