Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/216

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eussent les mêmes projets que Crassus, et que leur but fût le même. Lorsqu’on avait donné ce commandement à Pompée, le Sénat s’y était opposé ; et, lorsque César eut mis en déroute trois cent mille Germains, Caton proposa de le livrer aux vaincus, et de détourner sur lui la vengeance céleste qu’il avait provoquée en violant des traités ; mais le peuple ne tint compte de l’avis de Caton : pendant quinze jours on offrit des sacrifices en reconnaissance de cette victoire, et on se livra à des réjouissances excessives. Quels eussent donc été leurs sentiments, et combien de jours eussent duré les sacrifices, si Crassus eût écrit de Babylone qu’il était vainqueur, et qu’ensuite, envahissant la Médie, la Perse, l’Hyrcanie, Suse, la Bactriane, il en eût fait des provinces romaines ? Et en effet, s’il faut commettre une injustice, comme dit Euripide, quand on ne peut vivre en repos et qu’on ne sait pas faire un bon usage des biens présents, ce n’est pas une raison pour raser Scandie[1] ou Mendès[2], et pour donner la chasse à des Éginètes fugitifs, qui abandonnent leurs demeures et vont se cacher, comme des oiseaux, dans des contrées étrangères. Non, mettons la justice à un plus haut prix, et n’abandonnons point le juste si aisément, pour un avantage quelconque, comme chose vile et méprisable. Louer l’entreprise de l’expédition d’Alexandre, et blâmer celle de Crassus, c’est mal juger le commencement par la fin.

Quant aux expéditions mêmes, Nicias a fait, durant les siennes, un assez grand nombre de nobles actions. Dans plusieurs combats il a vaincu les ennemis ; peu s’en est fallu qu’il ne prît Syracuse ; et tout le mal n’est pas arrivé par sa faute : on pourrait l’attribuer à sa ma-

  1. Ville maritime de l’île de Cythère.
  2. Ce n’est point Mendès, en Égypte ; celle dont il est question ici était une colonie des Érétriens, dans la Thrace.