Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/240

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d’hiver, il abandonna le chemin plus court qu’il avait pris, et il passa par des bourgs et des villes, prenant le temps de remettre en état ses troupes, et marchant à petites journées.

Mais, voyant que personne ne le harcelait dans sa marche, comme il arrive d’ordinaire quand des ennemis sont proches les uns des autres, informé d’ailleurs par les gens du pays qu’on n’avait aperçu aucune armée dans les environs, mais seulement des feux allumés qui resplendissaient au loin, il reconnut que c’était un stratagème d’Eumène ; et, outré de dépit, il s’avança, résolu d’en finir par une bataille rangée. Cependant, la plus grande partie des troupes s’étaient rassemblées auprès d’Eumène, admirant sa prudence, et voulant qu’il commandât seul l’armée. Ces vœux remplirent de chagrin les chefs des Argyraspides, Antigène et Teutamus ; et dans leur jalousie, ils complotèrent de le faire périr. Ils s’associèrent pour complices la plupart des satrapes et des officiers, et délibérèrent ensemble sur le temps et sur les moyens de l’exécution. On convint unanimement qu’il fallait se servir d’Eumène pour la bataille, et le tuer aussitôt après. Mais Eudamus, qui commandait les éléphants, vint avec Phédimus découvrir secrètement à Eumène ce qui avait été résolu ; non point qu’ils eussent pour lui aucun sentiment d’affection ou de reconnaissance, mais par crainte de perdre l’argent qu’ils lui avaient prêté. Eumène loua leur fidélité, et, s’étant retiré dans sa tente, il dit à ses amis : « Je vis au milieu d’une troupe de bêtes féroces. » Il écrivit son testament, déchira ou brûla toutes les lettres qu’il avait reçues, de peur qu’après sa mort ceux qui les avaient écrites ne fussent exposés, par la révélation de leurs secrets, à des accusations et à des calomnies.

Lorsqu’il eut mis ordre à ses affaires, il délibéra s’il abandonnerait la victoire aux ennemis, ou s’il irait, à travers la Médie et l’Arménie, se jeter dans la Cappadoce.