Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/250

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seul s’y opposa. Peut-être pensait-il que Cinna n’aurait plus pour lui la même considération quand un aussi grand capitaine serait là ; peut-être craignait-il que la violence de Marius ne vînt tout bouleverser ; car Marius victorieux n’était pas maître de sa colère, et passait toujours les bornes de la justice. « Après les avantages que nous avons remportés, il nous reste, disait-il, peu de chose à faire ; mais, si nous accueillons Marius, c’est lui qui aura seul l’honneur du succès, et qui attirera à lui tout le pouvoir ; car vous savez qu’il ne souffre pas aisément le partage, et qu’il ne se pique pas de fidélité. » Cinna convient de la justesse des raisons alléguées par Sertorius ; mais il déclara qu’après avoir lui-même appelé Marius à venir partager la conduite de la guerre, il avait honte de se dédire, et ne voyait nul moyen de le rejeter. « Je croyais, dit Sertorius, que Marius était venu de lui-même en Italie ; et je n’envisageais que notre intérêt. Mais tu avais tort, tout à l’heure, puisqu’il est venu sur ton invitation, de mettre en question ce que tu dois faire : il ne te reste d’autre parti que de le recevoir, et de tirer de lui tout le secours que tu pourras ; car la bonne foi ne permet plus de raisonnement. »

C’est ainsi que Cinna fit venir Marius. L’armée fut divisée en trois corps, qui eurent chacun un chef séparé. Cinna et Marius, quand la guerre fut terminée, se portèrent à de tels excès d’insolence et de cruauté, que les maux de la guerre ne parurent aux Romains qu’une vraie félicité. Sertorius seul, dit-on, ne sacrifia personne à son ressentiment, et n’abusa pas de la victoire. Au contraire, il témoigna son indignation contre Marius ; et, prenant en particulier Cinna, il parvint, par ses prières et ses remontrances, à lui inspirer des sentiments plus modérés. Les esclaves que Marius avait pris pour alliés dans cette guerre, et dont il faisait les satellites de sa tyrannie, profitaient de leur force et de leur nombre pour commettre