Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/251

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impunément mille forfaits, tantôt par la permission et par les ordres de Marius, tantôt par pure férocité de caractère : ils égorgeaient les maîtres, déshonoraient les maîtresses, faisaient violence aux enfants[1]. Sertorius ne put supporter une telle licence : il les fit tous tuer à coups de flèches, dans leur camp même, quoiqu’ils ne fussent pas moins de quatre mille.

Cependant Marius mourut ; bientôt après Cinna fut tué, et le jeune Marius emporta le consulat, malgré Sertorius et contre les lois. Carbon, Norbanus et Scipion furent battus par Sylla, qui revenait de Grèce : défaite qui eut pour cause la mollesse et la lâcheté des chefs, non moins que la désertion des soldats. La présence de Sertorius ne pouvait remédier au désordre croissant des affaires, parce que ceux qui avaient le plus de pouvoir étaient les moins habiles ; enfin lorsque Sylla vint camper auprès de Scipion, et lui fit les plus grandes démonstrations d’amitié, en le flattant de l’espoir d’une paix prochaine, tout en lui débauchant son armée, Sertorius, qui avait plusieurs fois inutilement averti Scipion, désespéra du salut de Rome, et partit pour l’Espagne : il voulait y prévenir l’arrivée des ennemis, et s’établir dans la province, afin d’assurer une retraite à ceux qui seraient vaincus en Italie.

Assailli par de violents orages dans des contrées montagneuses, il n’obtint le passage des Barbares du pays qu’en leur payant tribut et salaire. Ses compagnons s’indignaient, disant que c’était une honte à un proconsul romain de payer tribut à des scélérats de Barbares ; mais Sertorius ne s’affectait nullement de cette prétendue honte. « J’achète le temps, disait-il, le bien le plus précieux pour celui qui aspire à de grandes choses ; » et, ayant gagné ces Barbares à prix d’argent, il fit une si

  1. Voyez la Vie de Marius dans le deuxième volume.