Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays, puisqu’il était cause de ces désastres, puisque c’était lui qui avait allumé la guerre.

Mais ce qui, non moins que tout cela, affligeait Agésilas, c’était le trouble qui régnait à l’intérieur, les clameurs, les allées et venues des vieillards exaspérés de ce qu’ils voyaient, des femmes qui ne pouvaient tenir en place et couraient tout éperdues, effrayées des cris et des feux des ennemis. Une chose le chagrinait encore, c’était ce qu’on penserait de lui : en devenant roi il avait reçu sa ville très-grande et très-puissante, et il voyait la dignité de Sparte se rapetisser entre ses mains ; et il voyait démentir ce mot si orgueilleux qu’il avait lui-même si souvent prononcé : « Jamais Lacédémonienne n’a vu la fumée d’un camp ennemi. » On rapporte aussi que, dans une discussion sur la bravoure des deux peuples, un Athénien disait à Antalcidas : « Nous du moins, nous vous avons plusieurs fois chassés des bords du Céphise. — Et nous, repartit Antalcidas, jamais nous n’avons eu à vous chasser des bords de l’Eurotas. » Un Spartiate de condition obscure fit à un Argien une réponse à peu près semblable. « Beaucoup des vôtres, disait l’un, gisent dans la terre argolique. — Mais, répliqua l’autre, pas un des vôtres dans la terre laconienne. »

Plusieurs écrivains rapportent qu’Antalcidas, qui était alors éphore, fit passer ses enfants dans Cythère[1] par crainte des événements. Pour Agésilas, comme les ennemis se mettaient en devoir de traverser le fleuve, et de forcer le passage vers la ville, il rangea ses troupes en bataille sur les hauteurs qui sont au milieu de la ville, et abandonna tous les autres points. À cette époque, les eaux de l’Eurotas étaient dans leur plus grande crue, par suite de la fonte des neiges ; et, ce qui rendait le passage

  1. L’île de Cythère était à peu de distance des côtes de la Laconie.