Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pompée passa de la sorte devant Amphipolis[1], et de là fit voile vers Mitylène[2], pour y prendre Cornélie et son fils. Lorsqu’il eut jeté l’ancre devant l’île, il envoya à la ville un courrier, mais non pas tel que Cornélie l’attendait : après les nouvelles agréables dont on l’avait bercée de vive voix et par écrit, elle comptait bien apprendre que la victoire de Dyrrachium avait terminé la guerre, et que Pompée n’avait plus eu qu’à poursuivre César. Le courrier, qui la trouva toute pleine de cette espérance, n’eut pas la force de la saluer ; il lui fit connaître l’excès de ses malheurs par ses larmes bien plus que par ses paroles : « Hâte-toi, lui dit-il enfin, si tu veux voir Pompée sur un seul vaisseau et qui appartient à un autre que lui. » À ces mots, Cornélie se jette à terre, et y reste longtemps, hors d’elle-même et sans voix. Elle reprit ses sens à grand’peine ; et, comprenant que ce n’était pas le moment des gémissements et des larmes, elle traversa la ville, et courut au rivage. Pompée alla au-devant d’elle, et la reçut dans ses bras, prête à s’évanouir : « Ô mon époux ! lui dit-elle, ce n’est pas ta mauvaise fortune, c’est la mienne qui t’a réduit à une seule barque ; toi qui, avant de t’unir à Cornélie, voguais sur cette mer avec cinq cents voiles ! Pourquoi venir me chercher ? Que ne m’abandonnais-tu à ce funeste destin qui vient de t’accabler, toi aussi, de tant de calamités ? Quel bonheur pour moi, si j’étais morte avant d’apprendre que Publius, mon premier mari, avait péri chez les Parthes ! ou que j’eusse été sage, si, après sa mort, j’avais quitté la vie, comme j’en eus d’abord le dessein ! Je ne l’ai donc conservée que pour faire le malheur du grand Pompée ! » Telles furent, dit-on, les paroles de Cornélie. Pompée lui répondit : « Cornélie, tu

  1. En Thrace, près de l’embouchure de Strymore.
  2. Capitale de l’île de Lesbos,